Dans une Turquie appauvrie, sujette aux coupures de courant et écrasée par le poids du patriarcat et du conservatisme, des hommes et des femmes tentent de s’en sortir, quitte à enfreindre la loi… 

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Signant ici un premier long-métrage aussi énergique qu’inventif dans sa mise en scène – le film utilise notamment le montage pour procéder, sans transition ni réelle explication, à des flash-backs ou à la narration de plusieurs histoires se déroulant dans le même laps de temps – la réalisatrice turque Azra Deniz Okyay frappe un grand coup et surprend par la justesse avec laquelle elle parvient, via sa galerie de personnages désireux d’améliorer leur condition, à dépeindre la situation actuelle de la Turquie, opprimée par son gouvernement et sa police et dont la population, livrée à elle-même, n’a d’autre choix pour vivre que d’entrer dans l’illégalité.

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Ladite galerie de personnages consiste donc en des hommes faisant s’effondrer sans autorisation d’anciens immeubles pour le compte d’un promoteur – cette intrigue donnant lieu à une métaphore évidente de la destruction des vestiges historiques, et donc de la mémoire de la Turquie – d’autres hébergeant des migrants tout en les escroquant et surtout – car ce sont véritablement elles qui portent le film, en contrepoint total des personnages masculins – des femmes, que celles-ci soient des militantes féministes, des mères contraintes de se livrer au trafic de drogue pour subvenir aux besoins de leur famille, ou encore des adolescentes sans autre ambition que de profiter normalement de leur jeunesse, en dansant et s’habillant comme elles le désirent, sans que la police les interpelle ou que des inconnus les injurient au nom des « bonnes moeurs ». 

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À travers cette jungle – au-dessus de laquelle plane, certes en se cachant des forces de l’ordre mais déjà largement plus insouciante et déconnectée de la réalité, une jeunesse plus privilégiée à laquelle certains des protagonistes rêvent d’appartenir – le film brosse ainsi le portrait d’une Turquie gangrénée par l’avidité individuelle, fissurée par le manque de liberté et la disparition de son Histoire et dont le seul avenir repose, aux yeux du long-métrage, entre les mains des femmes, à condition que celles-ci s’unissent et renversent le patriarcat, représenté ici – avec une remarquable acuité – comme la meilleure arme dont dispose le pouvoir en place à seule fin de « diviser pour régner », hommes et femmes en arrivant, tout au long du film, à s’opposer, alors même que leur but – obtenir la liberté qui leur manque – est exactement le même. 

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Portrait désabusé d’un pays menacé d’amnésie et d’implosion, Les Fantômes d’Istanbul est une première oeuvre virtuose et subversive, à voir absolument !

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