« C’est donc un amoureux qui parle et qui dit (…) ». Roland Barthes.
Chloé Barreau fait entendre au présent ce qu’il « reste » d’amour dans la voix de ses amoureux d’hier. Depuis l’âge de 16 ans, entre Paris et Rome, elle a filmé , photographié ses amours pour en fabriquer déjà le souvenir. Mais de quoi eux se souviennent ?
Fragments d’un parcours amoureux reconstitue alors la vie d’une femme du point de vue de ceux et celles qui l’ont aimée. Témoignages très intimes et images privées s’étreignent . Il lui reste bien « des preuves d’amour , rangées dans des tiroirs, cachées dans des boîtes » mais ce qu’elle veut approcher , c’est cette part vivante et vibrante que donne à ressentir le « discours amoureux » , au risque de « s’exposer à un retour de flamme ». Construit alors en fragments autour de Prénoms ( Jeanne, Ariane, Sébastien,Marco, Laurent, Rebecca, Anna…) , le film dessine le parcours amoureux singulier d’une cinéaste , jalonné de multiples visages – de figures- de l’amour. La beauté du film tient d’abord dans cette polyphonie énonciative. « L’éclair » des fragments, passés et présents, traduit la condensation des émotions et les multiples états amoureux.
© I Wonder Pictures
L’idée d’une narration n’est pas totalement absente du montage : l’évocation d’une rencontre, d’un ravissement,d’une attente, la lecture en voix off de lettres d’amour, tous ces mots mis bout à bout « racontent » sans qu’il n’est besoin de chercher une autre trame fictive. Mais il y a aussi le langage des gestes, l’expression d’un regard, la tessiture et la vibration d’une voix qui lèvent tout l’enchantement aussi bien que la douleur enfantés par l’amour. C’est alors une cinéaste « habitée », « dans un état de réceptivité au monde » , capable d’ « allume(r) les yeux ( d’une amoureuse) pour toute la soirée » qui est découverte. Au travers de la déliaison, de la coupure , est toutefois saisi ce qui échappe, ce qui jamais en elle ne s’est donné totalement. Elle qui aussi cultivait le secret , pour qui l’amour est l’espace où « le vrai » peut basculer dans le « faire-semblant », se confondre avec lui et constituer, en dernière instance, sa vérité. Et c’est magnifique.
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