Auréolé de trois oscars -dont celui du meilleur film-  pour Moonlight, Barry Jenkins revient avec son troisième long-métrage :  If beale street could talk, adapté d’un merveilleux livre de James Baldwin. Triple nominé et gagnant d’un golden globe (meilleure actrice pour Regina King), If beale street could talk reste dans ses thèmes de prédilection puisqu’il adapte le roman d’un écrivain très engagé dans les droits sociaux et dans la lutte pour les afro américains.

Humaniste révolté, Baldwin peut être considéré comme un digne héritier de Martin Luther King ou de Malcolm X. Son œuvre est un modèle de courage, l’écrivain ne reculant devant aucune menace, aucun obstacle pour dire, pour nommer l’innommable : le racisme, la violence insoutenable et le mépris envers les minorités. A travers ses personnages fictifs – ici Tish et Alonzo « Fonny »-, il interroge la barbarie et la violence des hommes avec délicatesse et un humanisme qui déborde de chaque page. Barry Jenkins a donc relevé le défi d’adapter cet auteur toujours très actuel.

Du talent, le réalisateur n’en manque pas. D’élégance non plus, tant la forme est léchée, gracieuse. La mise en scène est raffinée, les plans construits, pensés, toujours agréables à regarder. Le travail du chef opérateur se distingue par la précision de la photographie qui flatte la rétine du spectateur ; la lumière remarquable, douce comme un soleil d’automne vient caresser les acteurs. Malheureusement, à force d’être timoré, le réalisateur peine à hisser ses personnages à la hauteur des enjeux du livre. cette propreté visuelle devient symptomatique de la superficialité de l’ensemble, le premier émerveillement cédant la place à un ennui poli. Pire encore, le soin apporté aux costumes (les nuances de couleur, les matières choisies)  et aux  accessoires (jolis parapluies …) font davantage songer aux pages de Vogue qu’aux rues de Harlem décrites par Baldwin.

Progressivement If beale street could talk passe d’« esthétique » à « esthétisant », laissant la désagréable sensation de se trouver devant une beauté assez vaine, un écrin vidé de toute énergie et d’engagement. Barry Jenkins s’insurge poliment ; revendique mollement, et rage mou. Il s’aventure avec prudence, suffisamment pour être estampillé cinéaste engagé aux yeux d’une industrie de plus en plus frileuse.

© Tatum Mangus Annapurna Pictures DCM

Trop évident, convenu, jamais subversif, le film empile comme des perles des propos éculés et rabâchés depuis des années par des cinéastes plus inspirés et beaucoup plus incisifs : Spike Lee évidemment mais d’autres comme Raoul Peck, qui consacra à Baldwin le très bon documentaire  I am not your negro.

Ici, la fiction est réduite à un schématisme binaire pesant qui oppose systématiquement les afro-américains aux blancs racistes. Jenkins peine à sortir de cette vision stérile et ne parvient jamais à élever ses personnages. Ses héros vivent dans un monde replié sur lui-même, construits en symboles plutôt qu’en chair ; coupés des réalités extérieures et de la vie en société. Lisses, parfaitement parfaits, ils contrastent avec les personnages blancs (peu nombreux et tous de très petits rôles), racistes éhontés. Il ne s’agit pas de nier l’existence de l’ignominie, mais la vision panégyrique des héros rend le spectacle artificiel et caricatural. Ramenés à l’état de fonction archétypale les personnages ne s’incarnent jamais. Ils ne sont que des idées, des étendards d’une vision dénuée de véritable regard. La manière dont Barry Jenkins dirige ses acteurs est à l’unisson, comme s’il cherchait à combler le vide, à bander les plaies de sa mise en scène.

© Tatum Mangus Annapurna Pictures DCM

C’est d’autant plus dommage que les gros plans -nombreux dans le film-  pouvaient créer une empathie particulière avec le spectateur. Même là, Jenkins appuie les effets. Les acteurs surjouent l’émotion et chaque geste, chaque regard revêtent une signification exagérée, renforçant la démonstration de force du film. Servie par un jeu emphatique, chaque réplique se revendique comme candidate au prix d’éloquence. A force de chercher la densité, le cinéaste donne à tous les évènements la même intensité. Barry Jenkins – dans un souci de maîtrise – contrôle tout et ne se laisse jamais dépasser par son sujet. Par ce geste, il verrouille et annihile l’émotion possible du spectateur.

© Tatum Mangus Annapurna Pictures DCM

Quelques scènes viennent heureusement sauver le long métrage du naufrage : lorsque le film prend un peu de hauteur, que l’humour vient bousculer le pensum pour permettre au spectateur de sortir la tête de l’eau, mais ce n’est que trop rarement le cas. Une image, pourtant anodine, surgit et vient rappeler la force symbolique du cinéaste : des tomates jetées contre un mur éclatent et maculent celui-ci de rouge, renvoyant immanquablement au sang des trop nombreux innocents, victimes des bavures policières chaque année aux Usa. L’image interpelle et rappelle que, plus que jamais dans l’Amérique de Trump, le cinéma peut être une arme. A utiliser sans modération.

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A propos de Julien Rombaux

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