Une petite précision concernant le titre ne semble pas inutile: le « Meltem » est le nom d’un vent du nord particulièrement violent et imprévisible soufflant en été entre la Grèce et la Turquie. Il s’agit également d’un prénom turc, mais aussi, plus communément, d’une expression désignant les femmes fortes, qui ne se résignent pas. Elena, jeune femme de 17 ans, incarne cette « meltem ». Le film s’ouvre par un très beau plan en contre plongée filmé en milieu aquatique. Un corps recroquevillé en position fœtale flotte dans l’eau, baignant dans une image bleutée. L’environnement liquide symbolise de façon littérale ce retour à l’état originel, le ventre de la mère. Elena, en voix off, profère ces quelques mots touchants « tu me disais: en retenant son souffle on arrête le temps. Tu ne respires plus. Le temps s’est arrêté. Tu n’as pas de visages dans mes rêves. Où es-tu ? M’entends-tu? »
Ces phrases, énoncées en Grec, comme pour rappeler les origines d’Elena, évoquent la mémoire encore présente de sa mère disparue trop tôt.
Retour au présent: Un an après ce décès douloureux, elle retourne dans sa maison de vacances, sur l’île de Lesbos, accompagnée de Nassim et Sekou, ses amis banlieusards, excités à l’idée de se dorer au soleil dans cet endroit magique. Mais un événement imprévu va bousculer cette petite troupe: la rencontre avec Elyas, jeune réfugié Syrien, qui va perturber leurs vacances, censées être un retour aux sources pour Elena afin de régler quelques affaires pressantes, en l’occurrence la vente de la demeure.
Le jeune cinéaste franco-grec, Basile Doganis dessine un personnage attachant de jeune femme, énergique et lumineux, mais encore prisonnier de ses émotions, de ses souffrances. Sa rencontre avec Elyas, déterminante, sonne comme le passage d’un enfermement sur soi, d’une difficulté à laisser les morts partir, vers une possible reconstruction en s’ouvrant et en aidant les autres. Daphné Patakia, aperçue brièvement dans Mes provinciales de Jean-Paul Civeyrac, rayonne dans ce rôle difficile qu’elle porte à bout de bras.
Cette ouverture vers l’extérieur va permettre à Elena d’éveiller sa conscience politique mais aussi de cheminer, d’accepter la mort de sa mère et de renouer avec ses origines.
Travaillé par les questions d’identités et d’appartenance, le réalisateur, touche juste lorsqu’il filme Elyas, beau personnage énigmatique captant à travers son regard la détresse d’un passé difficile. Il imprime à son premier long métrage une forme vivante, emprunte d’un naturalisme solaire délaissant le réalisme sordide, écueil intelligemment évité, étant donné la teneur du sujet.
Sans forcer le trait, la situation géopolitique est esquissée habilement en quelques plans significatifs, à l’image de cet entassement de tentes de réfugiés sur une île de rêve, subissant de plein fouet la crise d’un pays en 2015 qui connaît alors son « grexit ». Cette acuité du regard cerne subtilement le paradoxe d’un lieu magnifique, rattrapé par une réalité insupportable.
L’intérêt de cette tragi-comédie en mode mineure s’avère cette greffe entre le drame intime d’une jeune femme et sa prise de conscience d’une situation injuste. La loi visant à condamner les gens qui aident les migrants révolte Elena et ses deux amis, un maghrébin et un noir, eux-mêmes conscients de leur propre déracinement, en tant que français d’origine étrangère.
Hélas, la singularité de Meltem se délite un peu dans cette volonté artificielle d’injecter une bonne dose de comédie, en se frayant un chemin du côté du feel good movie à travers les personnages de Nassim et Sekou, trop caricaturaux pour être crédibles. La faiblesse de certains dialogues suscite parfois une gêne dans ce désir sincère mais maladroit d’hybridation des genres. Le film n’avait pas besoin de cette dédramatisation un peu forcée.
La mise en scène, illustrative, se met au service du récit sans chercher à innover. Elle intéresse davantage par ses omissions, excluant le pathos et la complaisance, que par ses audaces. Cependant, elle instaure une ambiance particulière grâce au soin apporté à la lumière, accentuant les couleurs colorées et chaudes et à l’envoûtante musique locale, principalement interprétée à l’oud. La sincérité du projet ne transforme pas ce film, séduisant pour les yeux, en visite guidée touristique. Une authenticité règne : Le raffinement esthétique de la réalisation installe au contraire une ambiguïté, une fausse douceur, saisissant très bien le coté idyllique d’un endroit paradisiaque en surface.
Dans ce récit d’apprentissage, qui est aussi une belle réflexion sur le deuil, où des jeunes se retrouvent confrontés à un dilemme moral, un choix idéologique, le cinéaste a l’intelligence, malgré la légèreté du style, de ne pas amoindrir la noirceur du propos, de ne pas édulcorer l’issue souvent fatale réservée aux migrants. C’est tout le mérite de Meltem, premier film imparfait et fragile mais qui entre en résonance. Comment ne pas être touché par cette histoire universelle qui se situe au cœur de nos préoccupations contemporaines?
(France/Grèce-2017) avec Daphne Patkakia, Rabah Naït Oufella, Lamine Cissoko, Féodor Atkine
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