De quel amour fou s’agit-il dans ce nouveau film des frères Safdie ? De celui inconditionnel de Harley pour Ilya ? Ou de celui continu et insatiable pour l’héro ?
A cette question comme à toutes les autres, il n’y aura pas de réponse. Nulle démonstration, aucune dialectique, zéro flash back ou mise en perspective qui délivrerait une clé sociologique, psychanalytique, politique ou autre. Pur représentant de la mouvance mumblecore du cinéma indépendant new yorkais, Mad love in New York n’est pas un produit, mais une expérience, rare et intransigeante.
Au départ et au centre du film : la jeune et solaire Harley, Arielle Holmes dans sa vraie vie de junkie à la dérive, rencontrée par les réalisateurs qui lui ont demandé de l’écrire, sa vraie vie de junkie, et l’ont choisie pour l’interpréter, non sans risques.
A une exception près, les autres acteurs sont également non-professionnels ; le film ne relève pas du spectacle, mais bien d’une expérience à l’authenticité brute et chancelante, admirable dans son parti pris d’être là, avec et auprès de ces laissés-pour-compte, sans chercher à témoigner, documenter, révéler et encore moins mettre en spectacle. Non, être là avec eux que l’on quittera la mort dans l’âme parce que le film nous aura inclus dans la bande, entraîné dans la quête quotidienne du fix, du dealer ou de l’autre avec une justesse rare, dénuée de pathos, ou d’apitoiement.
Les frères Safdie ont su pour ce faire éviter la prise de vue appuyée et significative d’une caméra à l’épaule et opter pour le trépied et l’objectif à longues focales. A la fois lumineuse et irréelle, proche et perdue, Harley vibre et s’impose à l’écran avec une vérité et une fragilité tendue du début à la fin.
Où va-t-elle, chaque fois qu’elle se relève et trace dans la ville, elle qui n’est de nulle part et se cogne sans cesse aux autres, sans jamais rien livrer de son passé. Sur le fil du rasoir ou de la folie, en marge des autres et d’elle-même, la caméra la capte dans un présent absolu, une instantanéité qui semble être le seul temps possible.
On l’aura compris, plus qu’à The Panique à Needle Park de Schatzberg, aux antipodes d’un Harvey Keitel dans Bad Lieutenant de Ferrara et autre Requiem for a dream d’Aronofsky, c’est à John Cassavetes que l’on songerait plutôt ici, dans l’indépendance affichée pour les codes et procédés cinématographiques voire narratifs, l’absence d’intrigue et d’épilogue, la modestie assumée des moyens, l’exigence à creuser la veine autobiographique, la spontanéité flirtant avec l’improvisation.
Seules les plages de silence halluciné ou les nappes de la bande son (superbes variations électroniques autour de Debussy) nous font vivre et partager le sentiment d’urgence, la stupeur cotonneuse, la réalité hébétée, le temps qu’on tue dans l’éternité du shoot. Et ce flottement en apesanteur qui annihile le regard des passants comme la violence du béton.
Réalisé par Josh et Benny Safdie. Avec Arielle Holmes d’après son roman éponyme Mad Love in New York.
Musique originale : Ariel Pink et Paul Grimstad, musiques additionnelles de Isao Tomita.
Durée : 97 min, Année de production : 2014. Carlotta Films. Sortie le 3 février 2016.
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