Welcome to the High Rise : 40 étages, mille appartements. Luxe, simplicité, efficacité, rationalité à deux pas de Londres.
C’est ici que le Dr Robert Laing (Tom Hiddleston) vient s’installer, en quête d’un peu d’anonymat, d’un nouveau départ et d’ultra-moderne-solitude. Pas de chance, l’humain est ce qu’il est, et en penchant la tête au dessus du balcon, les voisins (enfin, surtout la chaude voisine, coquinement interprétée par Sienna Miller) nouent contact. Puis ceux d’à côté, puis les autres : à coup de réception, cocktails et fêtes, tromperies, bizarres rivalités et jalousie se font jour tandis que se dévoile peu à peu l’organisation sociale de la tour et ses fissures.
- Envie : péché capital.
Adapté d’IGH, le roman dystopique de J.G. Ballard par le trouble Ben Wheatley (dont la réception critique oscille des fans absolus aux contempteurs enragés), High Rise est l’histoire de ce quelque chose qui gonfle, sous le froid du béton : une fête de trop, une limite de passée, et c’est la folie qui explose, dans une beuverie sans fin qui emportera toute la société humaine avec elle.
La métaphore est limpide, trop peut-être : les riches en haut, les pauvres en bas. Avec l’Architecte tout de blanc vêtu vivant reclus au dernier étage de la tour (Jeremy Irons, cabotin en diable). Délire corbuséen d’une société rangée, classée, fascisante. C’est que les métaphores ballardiennes, quand elles se piquent de politique, et c’est souvent, signent rarement des fables légères : opposant le désir rationnel d’un État à l’animalité de l’humain, et les exacerbations de l’un et l’autre à mesure qu’ils se confrontent, c’est Nature contre Société, retour du Ca face au Surmoi. Alcool, drogue et sexe : la génération soixante-huitarde dans sa plus folle expression, voulant jouir avant tout, quitte à tout détruire, dans ce microcosme qui sombre progressivement dans le chaos et la violence.
Passé ce propos confondant de premier degré, dystopie un peu bourrine à la limite du tract, il y avait pourtant dans une telle proposition un bel enjeu de cinéma : comment filmer l’architecture ? Comment mettre en scène étages et couloirs gris et froids et y injecter la pulsion des corps ?
- Accroche ta ceinture, mémé.
Malgré ses défauts de traits trop appuyés, c’est ce que semble tracer la première partie du film : travelings et murs nus, miroirs et symétries des rayons de supermarchés, lignes, lignes, que seul vient briser le corps, magnifique et sculptural, de Tom Hiddleston, nu comme un ver sur sa terrasse baignée de soleil. Confrontation esthétique qui laisse présager le grand film froid tant attendu.
Las : troquant l’architectural pour le pseudo-sensoriel, High Rise, pris d’une soudaine bouffée auteuriste, tente dans sa seconde partie un délitement esthétique et narratif qui suivrait la déchéance des habitants dans la fange.
- Etre punk, mais avec la garantie de l’emploi
« Je suis un décadent » semble alors hurler brusquement chaque plan, convoquant le fatras kitsch des séries B usées jusqu’à la moelle. C’est alors tout le bal visuel d’une poésie fainéante, déjà mille fois vue, qui débarque : des costumes Louis XVI aux gens ivres, des poubelles amoncelées aux « bon, qui m’encule ».
Comme un doigt d’honneur tellement systématique qu’il en devient innocent, « Je suis décadent » : tue des chiens et viole (hors-champ, il ne faut pas exagérer, PG veille) des femmes, quand on ne verse pas dans le cannibalisme, ca fera frémir la bourgeoise.
Sauf que dans ce virage, il oublie une règle d’or : comme au motocross, c’est la qualité du dérapage qui compte. Et que, pour qu’une expérience viscérale de cinéma puisse avoir lieu, elle ne peut s’établir que sur la base d’une architecture (uh uh) solide de mise en scène, aussi tranchante que peut l’être la précision d’un Salo, l’angoisse d’un Shining ou dans un versant plus tripes les systèmes Cronenberg ou la folie de La Grande Bouffe : toutes exemples de mises en scènes enfermant spectateur et acteur dans un même geste dans le dispositif filmique.
Ici, chargé jusqu’à la gueule d’effets visuels gênants, ralentis et effets kaléiodoscopes foufous, incertain dans ses enjeux comme sur son propos, perdu à l’exacte limite entre le narratif et le formalisme, n’en traitant bien (n’ayant pas les épaules pour ?) aucun des deux quand il ne se vautre pas dans l’allégorie pataude rappelant les moments les plus gênants et de la trilogie Matrix (l’architecte, tout de blanc vêtu, affirmant « j’ai créé cela pour changer les Hommes »), High Rise se perd alors dans les méandres d’un scénario complètement biaisé (pourquoi aucun habitant ne quitte-t-il simplement la tour ?) quand sa mise en scène ne génère pas carrément le malaise : celui d’observer d’en dehors tout ce gloubiboulga fatiguant aussi bien visuellement que narrativement, voire, et c’est assez rare pour être souligné, de ne simplement pas comprendre les motivations de personnages semblant parfois aussi erratiques que leur réalisateur, avec une mention spéciale à Richard Wilder, mari frustré, vindicatif et violeur dont on peine à suivre même le parcours géographique au sein de la tour, un coup à gauche, l’autre à droite, un étage en dessous ou en dessous.
- Sadisme en culottes courtes
C’est qu’à trop vouloir « faire voir », privilégiant le choc visuel immédiat, le baroque facile plutôt que la précision, Wheatley rate l’idée que pour qu’il y ait malaise, il doit y avoir a minima une adhésion. Mieux : une empathie. Obnubilé par sa volonté de faire œuvre, grand gamin perdu dans ses effets de manches d’un costume trop large pour lui, nous rejetant de sa mise en scène en oubliant le « pacte » qui nous lie à lui, le film devient la caricature de lui-même, grande outre vide grotesque et gênante.
Ce qui est sanctionnable et crée le malaise, ce n’est pas le ratage. C’est qu’High Rise soit le film d’un petit malin sans ampleur, Kubrick de pacotille et musique façon Orange Mécanique à la clef, perdu dans sa propre fatuité grandiloquente nous gueulant son génie de camelot au point d’en oublier son spectateur. Passons notre tour.
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