Premier long-métrage de Benoit Forgeard*, mieux encore qu’un président, Gaz de France, nous propose un jouissif contre-programme de cinéma, allant à l’encontre du naturalisme et des règles préétablies. Si on met un certain temps à comprendre le sens du titre, très vite, une chose est sûre, ce gaz-là est hilarant et c’est gaz à tous les étages.
Depuis la découverte de ses étonnants courts Belle ile en mer, Coloscopia… on sait que Forgeard est le roi des pitches improbables, un cousin burlesque de Charlie Kaufman et de Luis Bunuel. Le premier racontait la rencontre entre un jeune vendeur de digicode godiche et un certain Alain Souchon, joué par un acteur… n’ayant rien à voir avec son homonyme !… Le second, narrait sur un ton grave et incarné (si l’on peut dire) la coloscopie de la madone des plans rectaux, Jackie Larose….
Le pitch du film avait créé une rumeur d’excitation devançant sa venue à Cannes lors de sa sélection par L’ACID : Philippe Katherine en président des français. Soit, Bird tel est le nom du drôle d’oiseau, balloté politiquement, suite à une prestation catastrophique à l’antenne. Réunion en urgence par son éminence grise, Michel Battement ( Olivier Rabourdin, impec). Des conseillers travaillent ardument à préparer l’allocution du président looser. Quelle histoire raconter ? Surtout, quand Jasques Attali and co se sont avérés indisponibles et que le panel est constitué de ce que l’aéropage de Bird nomme pudiquement des «profils atypiques »….
« Ce que j’ai devant les yeux ne ressemble à rien (d’autre) et c’est ce qui me plait » : ce petit speech de Michel Battement, désorienté, est quasiment une métaphore du film. Certes, les ombres de Kaufman, Bunuel, Dupieux, Mocky planent, mais ce qui fait le charme fou du cinéma de Forgeard c’est qu’il ne ressemble qu’à lui-même. Charme fou au sens premier car son pari est d’une dinguerie insolente, frisant l’arrogance et ça passe ou ça casse. On peut rester insensible à ces loufoqueries où pourtant certaines protagonistes réclament une signification. Battement dit joliment : je suis un ébéniste du sens.
Plus que de narration et de « message » (le cadet des soucis du malicieux Forgeard), il s’agit d’histoires, de mythes. Battement rappelle à son panel bancal (une enfant surdouée inquiétante ; un savant en fauteuil roulant ; une e-blogeuse, de la Webshitèque ; un moustachu à l’apathie suspecte…) qu’il a fait appel à eux pour leur talents de conteurs. Pierre, le savant (incarné par l’inouï Darius, comédien fétiche de Forgeard) proteste : Je vois qu’il s’agit de storytelling, c’est très mauvais. Dès lors, les candidats à l’allocution du président et donc au storytelling politique, rivalisent de trouvailles absurdes, voire néfastes au président.
Voilà ce que dit Forgeard de ce storytelling : En écrivant, je me rendais compte que les Français jouaient volontiers un double jeu, qui s’est parfaitement ressenti dans l’enchaînement des présidents Sarkozy et Hollande, l’Hyper président, puis le président normal. Le storytelling a pris beaucoup d’ampleur au cours de ces deux mandats. Ceux qui réclamaient un président normal, se sont rapidement plaints de sa normalité, et la mythologie du grand homme est réapparue. La France est un pays d’histoires. Ses fondations sont faites de récits.
En ce sens, Gaz de France est une variation autour de récits absurdes, dont un des atouts majeurs est d’être tous énumérés avec le plus grand sérieux par leurs auteurs, ce qui rend les scènes hilarantes ; avec un premier degré désarmant, l’un d’eux demande : La première dame ne pourrait-elle pas être un homme ? Forgeard précise d’ailleurs que l’humour qui l’intéresse avance masqué, véhiculé par des personnages qui ne sont pas là pour la rigolade.
Dire que Forgeard a un univers est un euphémisme, d’autant qu’il est peuplé des Forgeardiens, habitants récurrents de ses films : outre, l’inimitable Darius (qui joue d’ailleurs ici une sorte de marionnettiste manipulant un personnage joué par Forgeard lui-même…), on retrouve avec joie les talentueuses Alka Balbir et Anne Steffens, présentes dans les autres courts-métrages de Forgeard.
Un film, au-delà des modes, créant sa mode, littéralement underground puisque tout se joue au premier, puis surtout, au deuxième sous-sol du palais de l’Elysée (sic), sur des fonds verts que le jeune réalisateur français se réapproprie en assurant crânement que, ce serait dommage que le recours au fond vert soit l’apanage de Hollywood.
A la fois, crâneur et fragile, Gaz de France séduit par sa virtuosité et sa capacité inattendue à s’inscrire sur la durée : 85 minutes de satire politique et de loufoquerie, il faut les tenir ! Un seul bémol : le dernier quart d’heure est délayé, le soufflé aérien retombe un peu ; on passe du vol au vent à la foret noire. Ceux qui ont vu le film, comprendront l’allégorie culinaire et ceux qui ne l’ont pas vu encore, qu’ils y courent car qu’on aime les mets aériens ou un peu trop épicés, on se régale ! Enfin et surtout, Gaz de France est une mise en abyme à peine camouflée du storytelling qu’on inflige aux auteurs du cinéma français afin de décrocher des aides et des histoires capillotractées qu’on doit parfois inventer ( plus c’est gros, plus ça passe) alors que l’imagination au pouvoir, peut tout. Ce que nous prouvent Gaz de France et Philippe Katherine, incarnation ad hoc de cette Rigueur en chantant. Rigueur enchantée, en tout cas.
* son truculent Réussir sa vie, sorti en salles en 2012, rassemblait trois de ses moyens-métrages avec des interludes
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