Selon une théorie scientifique, la couleur bleue serait l’ultime perception avant la mort. Après le bleu, dans un futur lointain. Une fois la terre maternelle souillée et délaissée, il y a un paradis sale. Une planète de substitution, dont les lois physiques sont étrangères aux corps humains. Les hommes s’y étouffent rapidement. Les femmes y survivent au prix de quelques perturbations pileuses. La vie n’y est pas douce, elle est déracinée, inadaptée. Aussi, afin de préserver cet astre d’adoption, toute énergie salissante est bannie. Les colonisatrices y rejouent une rudesse depuis longtemps dépassée. Roxy, jeune native de cet univers, blonde platine solitaire, délivre une criminelle prisonnière des sables. Kate Bush, dont le nom invoque la terreur et la haine, profite de sa libération pour semer la mort. Les femmes du village condamnent alors l’adolescente et sa mère, Zora, à l’exil et à la traque de la meurtrière. S’en suit une errance fiévreuse dans des territoires et des désirs inexplorés.
Après le choc insulaire des Garçons sauvages, et l’intermède balnéaire Ultra Pulpe, impossible de ne pas reconnaître les rêveries plastiques de Bertrand Mandico aux premiers regards lancés à son After Blue (paradis sale). Film-planète, nouvelle poésie visuelle vertigineuse. Ses œuvres semblent provenir d’un territoire cinématographique tout aussi sauvage et exotique que les espaces que traversent ses personnages. Elles s’épanouissent peut-être en une terre surnaturelle et reculée avant de parvenir jusqu’à notre univers, qui à côté semble plutôt morne. Si le support filmique est universel, les sensations qu’il absorbe et transporte pour lui sont ici tout à fait singulières. L’avalanche de couleurs aux poussières étincelantes rendent toute pulsion naturellement brûlante. Un plaisir trouble inonde les images. Les voix, pour la plupart réenregistrées et post-synchronisées, jouent avec les temporalités et les ondulations sonores. Elles enfoncent le film un peu plus dans son étoffe surréaliste. Mandico exhibe la fantaisie dans une outrance cosmique et séduisante. Son cinéma est frontal, il ne se soumet jamais au naturel. L’artifice fonde religieusement son imaginaire cinématographique.
After blue naît d’une constellation de références et d’inspirations. Entre conte, récit initiatique, road movie, western et science-fiction, ses contours narratifs échappent à toutes les conventions. Les frontières des genres, tant humains que formels, sont fluides, malléables. Elles laissent entrer de nouvelles possibilités de jeu pour les actrices, qui jouissent ici d’un espace presque exclusivement féminin. En n’étant plus confrontées à un alternatif masculin, les femmes deviennent la norme. Elles s’approprient librement les atouts et défauts d’archétypes typiquement mâles allant même jusqu’à reproduire un certain machisme. Et puis, devant ces nouveaux paysages, c’est l’angoisse d’une terre abandonnée, rendue malade et inhabitable qui se pointe. Si belles soient ses couleurs, il n’en reste pas moins un Eden vénéneux, qu’il vaut mieux garder pour la fiction. Un paradis sale halluciné, une douceur acide, qui fourmille autant de merveilles que de cruautés.
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