Avec Les Garçons sauvages, Bertrand Mandico ouvre la voie à un cinéma pulsionnel et onirique, romantique et punk, et parvient à réinvestir le film d’aventures sans jamais rien céder sur la forme. Dès les premières images, le spectateur est en proie à la sidération : alors que défilent des plans somptueux, on se demande depuis quand on n’avait pas été aussi ébloui au cinéma. Or à cet émerveillement visuel s’ajoute immédiatement l’impression d’être entraîné dans un récit déroutant et d’accoster en terre inconnue. Film génial et culotté, Les Garçons sauvages tient toutes ses promesses et apparaît d’ores et déjà comme une des plus belles surprises de l’année.
Originellement issu du monde de l’animation, Bertrand Mandico s’adonne depuis de nombreuses années à la photographie, à la musique, au dessin, et à l’écriture. Ce touche-à-tout est aussi connu pour ses courts et moyens métrages dont l’univers baroque, érotique et facétieux n’en finit pas de surprendre. Plus de vingt ans après ses débuts, on ne peut que se réjouir de la sortie du premier long de Bertrand Mandico, qui vient encore enrichir son répertoire et défricher de nouveaux territoires cinématographiques.
Le film s’ouvre sur une séquence nocturne paroxystique, pleine de confusion, de cris et de fureur. On reconnaît une plage, jonchée de débris de bouteilles et parsemée de feux allumés, qui fait d’abord penser à une scène de guerre, d’insurrection ou encore à une rêverie hallucinée, impression renforcée par l’usage sublime du noir et blanc. Ce déchainement de violence énigmatique ne trouvera son explication qu’à la fin du film : une voix off et un passage momentané à la couleur interrompent l’action pour retracer l’itinéraire des personnages via un récit rétrospectif à la première personne.
Galvanisé par cette introduction fiévreuse, le spectateur découvre alors cinq jeunes garçons de bonne famille que l’insoumission et la frénésie ont conduit à commettre un crime sauvage. Impuissants, les parents décident de faire appel au Capitaine, étrange personnage à mi-chemin entre le dresseur de fauves et le pédagogue. Celui-ci, qui a pour mission de mater les adolescents, les fait embarquer sur son navire, avatar flottant de la maison de redressement. Mais les mauvais garçons se révoltent et font naufrage sur une île dont la végétation ensorcelante va les métamorphoser à jamais.
Si le scénario peut à première vue apparaître comme un prétexte à la fantaisie, sa construction sophistiquée et le déploiement de l’aventure lui confèrent une ampleur qui l’éloignent du pur film expérimental où la forme l’emporte souvent sur l’intrigue. Nourrie de mille et une références, la trame des Garçons sauvages joue sur le pastiche, empruntant à la robinsonnade, notamment aux romans de Jules Verne comme Deux ans de vacances, à la science-fiction – on pense à L’Ile du docteur Moreau de H.G. Wells – ou encore à la mythologie ovidienne. Dans ce récit d’apprentissage aux airs de conte cruel ou de rêve éveillé s’entremêlent les veines surréaliste, merveilleuse et sadienne. La représentation d’une cruauté raffinée et arbitraire, manifeste à travers les sévices infligés au personnage incarné par Nathalie Richard, semble inspirée de Sade ou de la littérature décadente, tandis que l’importance de la révolte et de la contestation, ici moteur de l’action, et la qualité onirique de certains éléments de la narration rappellent les principes du surréalisme. Quant au merveilleux, il infuse toute la deuxième moitié du film par son décor féerique et psychédélique – cette île des plaisirs où tous les fantasmes prennent vie. De même, le sort réservé aux mauvais garçons, révélé à la toute fin du film, n’est pas sans évoquer la punition de Pinocchio et des garnements qu’il fréquente.
L’incorporation de références aussi multiples qu’éclectiques dans Les Garçons sauvages et la juxtaposition de motifs ou de tonalités contradictoires – humour et cruauté, utopie et grotesque – sont le signe d’un brouillage des frontières, d’une confusion des genres qui fonde la singularité du film. C’est que Bertrand Mandico place la parodie, le travestissement, et l’inversion au cœur de son travail et nous offre avec Les Garçons sauvages une fable féministe particulièrement audacieuse. En proposant à des actrices d’incarner des personnages masculins, en jouant sur une forme d’androgynie, le réalisateur brouille la question du genre de manière vertigineuse. Comme le recommande le docteur Séverin(e) à Hubert, il faut « voir au-delà des apparences » et déjouer les faux-semblants. Dans l’univers des Garçons sauvages, tout est leurre : la virilité n’est qu’un masque, la force une comédie, les plantes dissimulent d’étranges secrets et les méchants ne sont pas ceux qu’on croit. Par-delà le caractère révolutionnaire de l’intrigue, qui réserve au spectateur un final à la fois éblouissant et truculent, on ne peut qu’applaudir devant la hardiesse d’un réalisateur capable de proposer à ses comédiennes des rôles aussi inédits, dans lesquels elles s’illustrent toutes par leur brio.
Difficile d’énumérer toutes les raisons qui président à la magie du film de Bertrand Mandico, de la beauté glorieuse de ses images à la bande-son envoûtante et organique, de la singulière érotisation de son univers à la poésie de ses dialogues… en embarquant dans le sillage des Garçons sauvages, préparez-vous à une plongée en eaux troubles.
Durée : 1h50
Avec Pauline Lorillard, Vimala Pons, Diane Rouxel, Anaël Snoek, Mathilde Warnier, Elina Löwensohn, Sam Louwyck
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Nøne
Ce commentaire est vraiment faible quant à sa connaissance du monde trans queer.