Le cœur, ici, est cet organe à la fois biologiquement et émotionnellement vital. Les pulsations et l’amour : ce sont les deux axes du film, imbriqués en la personne d’Oleg, médecin urgentiste, alcoolique et paumé, se trouvant confronté à deux problématiques, l’une professionnelle, l’autre intime. Alors que sa hiérarchie lui impose des cadences, du rendement, au détriment de la qualité de soins et d’écoute qui sont au cœur de son métier, sa femme lui annonce par texto qu’elle souhaite divorcer. Le réalisateur tresse ces deux mouvements en exploitant la notion de rythme contenue dans son titre, en variant de l’un à l’autre les tons, la mise en scène, le montage. Le film s’ouvre sur une intervention à domicile. L’hypocondrie de la patiente révèlera l’impertinence jamais dépourvue d’humanité d’Oleg : sa rébellion. Puis nous plongeons dans la noirceur du personnage, se bourrant la gueule en plein repas familial, dans une scène au montage sec, chargé de tension. La mise en scène de Boris Khlebnikov est fascinante de maîtrise : il a le don pour installer le malaise en quelques secondes entre silences pesants, regards interrogatifs et inquiets captés au vol, et ce terrible bruit des objets, des fourchettes, du vin qui coule dans le verre, comme le détail qui définit la déchéance même du héros. Cette même tension gagnera les scènes d’intervention, de plus en plus suffocantes, de plus en plus déterminantes dans leur enjeu, à mesure qu’Oleg, harcelé par une hiérarchie froide et bornée, prend des risques et affirme ses convictions. Sans appuyer lourdement son propos mais en adoptant un regard ni distancié ni pamphlétaire, Arythmie dresse le portrait d’une société russe déshumanisée, transposable partout, à l’heure de la course au chiffre généralisée et du vivant sacrifié sur l’autel de la compétitivité. Dans ses refus, ses coups de tête, son opiniâtreté, Oleg, qui n’est pas un employé modèle mais recèle bien des qualités, – son écriture est un antidote au manichéisme – se révèle.
Le dispositif du film pourrait sembler répétitif, mais c’est sans compter sur ces micro variations autour d’un comportement de plus en plus affirmé, entier, qui font de chaque intervention autant d’étapes dans la trajectoire du personnage, autant de coups de balai passé sur une personnalité ne demandant qu’à rayonner. Le film est très beau dans son mouvement, la courbe ascendante qu’est le parcours professionnel d’Oleg étant sans cesse rompue par les dents de scie conjugales qu’il traverse. Si l’exercice de son métier relève de l’affirmation de soi, en dépit des doutes, la sphère intime est le théâtre d’un effondrement du personnage. Taiseux et dilettante au premier abord, il dissimule une fragilité autour de laquelle le film va patiemment gratter avant de la dévoiler. C’est dans cette dimension-là que l’économie de jeu d’Aleksandr Yatsenko se révèle bouleversante. Comme des fissures, de plus en plus larges et profondes, apparaissant à la surface d’un bloc de marbre. Entre l’incommunicabilité et la passion, Oleg et Katya cherchent à accorder leurs cœurs, à moins qu’il ne soit déjà trop tard. Irina Gorbatchova ne mérite pas moins que son partenaire d’être louée. Apportant grâce et naturel à un superbe personnage de femme, autant désabusée que lumineuse, elle irradie, d’une manière différente, autant que lui. Dans leur histoire, pas de coupable ni de victime. Pas de passé ni d’explications non plus. Juste deux êtres humains, saisis dans un bloc de présent. On ne se lasse pas de leurs visages, souvent cadrés au plus près, insaisissables, même traversés d’émotions. Arythmie laisse une impression à la fois de sobriété et d’intensité, parce qu’il observe et orchestre une certaine retenue tout en façonnant un matériau incandescent, parce qu’il parvient à transmettre aussi bien la dérive ou la beauté calme que l’urgence ou la détresse sans user d’effets, simplement en laissant se dérouler dans leur authenticité les faits, les affects.
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