Bouli Lanners – "Les Géants"

Il existe au moins un domaine à propos duquel Belges wallons et flamands devraient pouvoir s’entendre : c’est la vision du monde partagée par la plupart de leurs cinéastes. Ce que Felix Van Groeningen avait récemment résumé en joli titre d’un assez mauvais film : La Merditude des choses. Les Géants, le troisième long-métrage réalisé par l’excellent comédien Bouli Lanners (après Ultranova, 2005, pas vu ici, et Eldorado, qui s’était taillé un joli petit succès en 2008), en est une nouvelle illustration.
Les géants du titre sont en effet trois ados, deux frères, Zak (Zacharie Chasseriaud) et Seth (Martin Nissen), laissés à l’abandon par une mère que l’on ne verra jamais mais qui semble plus que désinvolte (le père, lui, n’étant même jamais évoqué), et leur copain Dany (Paul Bartel (1), martyrisé par son frère aîné, Angel (Karim Leklou). Livrés à eux-mêmes et désœuvrés par l’oisiveté des mois d’été, Zak, Seth et Dany ne peuvent que rêver d’ailleurs, histoire d’échapper à leur quotidien merdique, un ailleurs qui pourrait ici s’appeler l’Espagne, que Dany s’imagine comme un nouvel Eldorado (tiens, donc…).

Paul Bartel, Martin Nissen et Zacharie Chasseriaud dans "Les Géants"

Paul Bartel, Martin Nissen et Zacharie Chasseriaud

S’imaginant régler leurs problèmes en louant leur maison au caïd de la drogue local (savoureux Didier Toupy), Seth et Zak ne font que s’enfoncer un peu plus, se trouvant désormais SDF et contraints de tailler la route avec leur copain pour un road movie à pied et dont on devine qu’il ne les mène jamais à plus de quelques kilomètres de leur point de départ (la Wallonie est un petit pays, n’est-ce pas ?). On comprend que Bouli Lanners joue avec les codes d’un certain cinéma américain, celui de l’errance de ses mavericks, de ses outsiders, pour lesquels ses films gardent une tendresse particulière. En parlant d’outsiders, le film du même nom de Coppola pourrait être une lointaine référence des Géants, comme Stand by me (Rob Reiner), L’Autre rive (David Gordon Green) ou même… Délivrance (John Boorman) ! Pas seulement pour la casquette de fermier américain portée par Seth mais aussi pour sa curieuse atmosphère de bayou des Ardennes (mettons au crédit du film de nous faire découvrir une géographie belge assez inédite) et surtout sa plongée chez les white trash d’Outre-Quiévrain.
C’est là l’une des choses les moins réussies du film car trop attendue et ne brillant pas toujours par sa subtilité (on pense en particulier au personnage d’Angel, brute congénitale qu’on a l’impression d’avoir déjà un peu trop vue sur les écrans). Ce n’est peut-être pas intentionnel de sa part mais c’est un peu comme si Bouli Lanners confortait le spectateur dans l’image qu’il peut a priori se faire des personnages que croisent Seth, Zak et Dany dans leur galère, sans aller jusqu’à prendre le risque de le « déranger », comme peut le faire le cinéma d’Harmony Korine, par exemple. C’est pourtant un horizon cinématographique qui n’est peut-être pas si loin de Lanners, comme lorsque ses trois géants se décolorent les cheveux et ressemblent alors aux petits frères platine de Chloë Sevigny et Carisa Glucksman dans Gummo (2).

Karim Leklou dans "Les Géants"

Karim Leklou

Les Géants souffre surtout d’une volonté de son réalisateur d’embrasser plusieurs genres à la fois : comédie gentiment trash (mais moins mordante et « chargée de sens » que chez le duo Delépine/Kervern, dont Bouli Lanners est l’un des comédiens fétiches), road movie un peu panthéiste, mélo familial… Mais cet éparpillement ne traduit-il pas aussi une certaine indécision à effectuer des choix de scénario et de mise en scène bien tranchés ? Ainsi, aussi, ces deux scènes avec Marthe Keller en bienfaitrice muette (trois mots de dialogue en tout !), qui dessinent un possible ailleurs plus doux pour les trois jeunes héros. Il y avait là une possibilité de faire prendre au film une autre voie, assez indécidable (on ne sait pas qui est cette femme) ; mais, à l’instar de ces trois ados, qui reprennent finalement la route, le film ne la saisit pas et revient sur des sentiers plus balisés que Bouli Lanners ne le voudrait peut-être, bercé par des accords folk (signés The Bony King of Nowhere) plutôt jolis mais eux-mêmes assez prévisibles dans ce contexte…

(1) Qui n’a évidemment aucun point commun avec le réalisateur américain homonyme de La Course à la mort de l’an 2000 ou Eating Raoul
(2) A moins que l’étrange dégaine de Zacharie Chasseriaud, avec ses rangers, son pantalon de treillis et son tee-shirt trop large, soit un hommage au Genesis P-Orridge des années Throbbing Gristle ?…

 

Sortie nationale le 2 novembre 2011

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A propos de Cyril COSSARDEAUX

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