Film d’émancipation repéré à l’ACID Cannes cette année, « Mi Bestia » s’inscrit dans une mouvance récente qui interpelle, la transfiguration physique animale comme métaphore du changement, habile emploi du fantastique dans une période qui tend enfin à normaliser la trans-identité, le physique non en apparat superficiel d’une beauté plastique (thème éculé à la Dorian Gray que l’on retrouvera en octobre dans The Substance de Coralie Fargeat), mais bien en acte révolté, une détermination à exister par ce que l’on est, et ce que l’on ose enfin « afficher » (la rhétorique du « Always be proud »). Le règne animal de Thomas Cailley et cette magnifique course libératrice de Paul Kircher, Tiger Stripes » de Amanda Nell Eu et sa rage adolescente tigrée,  Bird de Andrea Arnold et l’envol d’un ange déchu, tous forgeant l’émancipation par le transmorphisme. Beltrán va trouver en Mila sa « Carrie« , un visage tendre et effacé, qui progressivement va se durcir, exposée à la dureté du monde adulte, ses changements internes (et l’arrivée de ses menstruations) jailliront sur un physique en alerte, l’édification d’une personnalité par la rage et l’opposition. Dès son ouverture, le floutage et la mise au ralenti de l’image nous immerge dans un état second, un trip « safdien » (Good Time, 2017) qui plonge peu à peu la conscience dans l’inconscience, la normalité (une jeune lycéenne qui en pince pour un garçon de sa classe) en une expérience quasi horrifique où les lignes se distordent, la réalité se confond aux cauchemars, où les visages se transforment en monstre. Dans cette atmosphère pesante, Beltrán confronte la sphère adolescente à celle du monde adulte, l’amour naïf et vertueux de Mila fait face à des scènes de sexe de Doria, sa nounou, censé imager une forme de niche protectrice, cette même Doria qui racontera crûment à Mila un viol subi. Autre violence adulte infiltrant l’enfance déchue, l’absence répétée d’une mère submergée par son travail à l’hôpital, négligeant sa fille au profit de David, le beau-père invasif, au regard lourd, à l’attitude malsaine et perverse qui peu à peu envahira l’intimité de Mila (et cette glaçante scène de la voiture où la suggestion du désir pédophile est asphyxiante). Il y alors périclitation définitive entre la Mila adolescente et celle que le monde adulte a définitivement transfiguré en une bête rageuse qui n’a plus le droit ni à la peur, ni à l’apaisement de l’insouciance. Les rues de Bogota deviennent des coupe-gorges, le petit copain un ennemi, le beau-père un chasseur.

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La bête rôde, les médias prédisent l’avènement du Fils du diable le jour de l’éclipse lunaire. Nous sommes en 1996, et l’événement astronomique mondial inonde écrans et journaux. Des jeunes filles disparaissent, les chiens de l’Apocalypse rugissent, l’iris de Mila bascule dans un jaune de terreur, le sang coule de son entre-jambe, la boue recouvre ses frêles chevilles, l’enfance est définitivement morte. Tout est crasseux, le premier bisou de Mila devenant une morsure ensanglantée, le Monde change, et plus rien ne sera comme avant. D’une superbe scène, des rires d’enfants surgissent d’outre-tombe, d’abord joueurs, les rires se transposent en hurlements de terreur, comme le dernier souffle d’une enfance devenue fantôme, impalpable et disparue à jamais. Il n’y a désormais plus qu’à attendre la mue définitive de Mila, elle aura lieu le soir de la « Lunada », la lune rouge apocalyptique en déclencheur ésotérique de la définitive transformation de Mila en un hibou prédicateur, volant au-dessus d’une Terre qui n’est désormais plus la sienne. La transformation physique achevée, l’âme purifiée peut désormais s’envoler, le combat est fini.

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Film d’émancipation plein de noirceur et de crasse Résolument punk, Mi Bestia expose la hargne d’une enfance perdue face à la perversité du monde adulte, et face à elle, sa seule réponse viable, l’émergence de la violence et de la révolte. Un trip jouissif, un cinéma salutaire de générosité et de « trop » qui, malgré son caractère foutraque et excessif, emporte le prix libérateur du risque.

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