Caroline Vignal-  » Antoinette dans les Cévennes »

La joie de l’expérience intérieure est de se laisser féconder, comme un terreau propice, par des émotions inconnues, portées par le vent des hasards (1)

© diaphane distribution

Antoinette dans les Cévennes est un film sur cet «  éloge de l’énergie vagabonde »  d’une femme qui, au règne de la prévisibilité, oppose la surprise. Des mois qu’Antoinette attend l’été et la promesse de partir une semaine avec son amant Vladimir. Mais celui-ci lui fait faux bond, sa femme ayant réservé une randonnée en famille dans les Cévennes. Elle décide alors de partir à sa recherche.  A son arrivée, pas de Vladimir, mais un certain Patrick, qui n’est autre qu’un âne et va l’accompagner sur un «  drôle de chemin », qui en réalité est un chemin vers elle-même.

Dès le premier plan, le ton est donné. Des enfants dans une salle de classe et, au fond, de dos, une femme enfile une robe de soirée lamée argent. Parée, elle traverse la rangée principale de la salle de classe, puis, devant le bureau, sous les regards émerveillés des élèves, annonce que le moment de la représentation de la fête de fin d’année est arrivée. Cette femme (Laure Calamy), rayonnante de présence, par son corps et son sourire, est leur maîtresse d’école. Sur scène, la voilà qui chante avec eux un tube de Véronique Sanson, Amoureuse, donnant à voir son cœur tout nu. Les paroles de cette chanson sont l’autre parure, aussi fragile qu’exubérante, où déclarer frontalement sa flamme à son amant.

La fantaisie d’Antoinette dans les Cévennes vient de cet art du décalage qui dès le départ, et là se tient le charme du film, est autant un air de vitalité que celui d’une drôlerie tragique. Aussi se mettre en marche sur le chemin de Stevenson pour retrouver son amoureux, c’est être dans le même mouvement, celui du cœur. La présence corporelle du personnage dans l’intensité de cet élan – cette randonnée – l’emporte d’ailleurs sur le récit.

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Le corps est ce qui relie au plus intime de la nature aussi. Antoinette est assignée à un désir et l’espace qu’elle traverse est au départ celui de son impatience. Son compagnon de route, un âne, va dans un premier temps retarder son mouvement, contrarier par son entêtement le sien. D’autant plus que cette relation entre Antoinette et l’animal, parce qu’elle est fortuite, n’est pas d’évidence. Mais progressivement, cet espace d’impatience devient un espace à conquérir. Les paysages donnent une impression d’immensité, intensifiée par le cinémascope, et contribuent à faire de la marche d’Antoinette une aventure. Ils sont la résonance sensible du personnage. Le personnage s’y livre, s’y perd mais paradoxalement se retrouve avec elle-même. Leur vide est d’abord celui de sa solitude, puis où sentir de quoi relativiser la place accordée à celui qu’on aime et trouver sa place. Mais cette conquête de l’espace est rendue possible par celle de l’âne. Personnage à part entière, il écoute, comprend et soutient Antoinette qui apprend à l’apprivoiser : c’est en lui parlant qu’il accepte d’avancer. Si Antoinette projette ce qu’elle ressent dans ces paysages, si son esprit autant que son cœur se mettent en mouvement, c’est parce qu’elle tisse ce lien fort avec cet animal en lui racontant ce qu’elle ressent, ce qu’elle pense, ses amours passés et présentes, ses déceptions comme ses attentes. L’espace devient alors espace de liberté, où cueillir tout ce qu’on rencontre de joie et de simplicité : un repas partagé le soir et Antoinette devient l’héroïne des récits du voyage, une nuit sous la pleine lune à faire l’amour, un réveil en pleine forêt blottie contre son âne et le regard d’un renard. Autant d’instants où l’héroïne est présente à elle-même sous les traits d’un conte. Là est la beauté aussi du film de Caroline Vignal.

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Antoinette dans les Cévennes, labellisé Cannes 2020, par surprise, fait alors une autre conquête, la nôtre. L’élan physique et plein de vitalité de cette extraordinaire actrice qu’est Laure Calamy, cette féérie d’un lieu pourtant ordinaire que sont les Cévennes attisée par le travail sur la lumière, sont une adresse directe à nos sens alors mis en éveil.

  1. Sylvain Tesson, Eloge de l’énergie vagabonde, Paris, Pocket, 2009.

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A propos de Maryline Alligier

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