Cary Joji Fukunaga – « Mourir peut attendre »

Depuis 2006, les cinq James Bond de Daniel Craig prennent soin de contextualiser le mythe, de le placer dans un univers cohérent par films gigognes interposés. Les accessoires high tech sont au service d’une histoire personnelle, le patrimoine d’Ian Fleming se livre en clins d’œil, et 007 n’est plus vraiment l’agent pare-balles auquel on nous avait habitués jusqu’aux années Pierce Brosnan. Pendant que la franchise Mission : Impossible prenait efficacement la route de la série télé avec des rebondissements OMG et que les Fast & Furious adoptaient la jouissive surenchère en crédo, 007 creusait son sillon d’ « homme fort, mais avec des failles ».

Mourir peut attendre - Daniel Craig

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La dernière mission de Daniel Craig survient donc dans la suite directe de 007 Spectre, comme Quantum of Solace après Casino Royale. Les beaux jours de James Bond et Madeleine Swann (Léa Seydoux) en Italie font rejaillir les méfaits de l’organisation Spectre, et surtout les secrets de la jeune femme. Cinq ans plus tard, l’agent du MI6, en retraite en Jamaïque, est rappelé à la rescousse pour retrouver un scientifique avant que le méchant Safin (Rami Malek, assez bluffant) ne mette la main sur ses recherches. Son chemin croisera à nouveau celui de Madeleine et de Blofeld (Christoph Waltz, déjà dans 007 Spectre). La boucle de Craig Bond est donc bouclée avec cet épisode. Les scénaristes ont cependant eu tendance à ronger un peu trop l’os avec des éléments superflus, au détriment d’une analyse de leurs personnages.

Mourir peut attendre - Rami Malek

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La durée de 2h45 peine quelque peu à se justifier par manque d’enjeux dans l’intrigue et le sentiment de « désinvestissement » général. La pari du non-spectaculaire irrigue le film, jusqu’à ses curieuses scènes d’action. Le réalisateur Cary Joji Fukunaga, dont les percutants Sin nombre et Beasts of No Nation exposaient un talent âpre et tout-terrain, cherche un réalisme passant par les visages. Il filme des acteurs plutôt que des scènes, soutenu par un montage trop acéré, n’embrassant pas réellement l’entièreté de ses situations. La splendide ouverture (pré-générique) en Norvège, modèle de découpage et de point de vue, est en quelque sorte une fausse promesse pour la suite du film, qui enchaînera sans transition et illustrera sans explorer. Citons peut-être une exception :  un ébouriffant plan-séquence inattendu de combat en corps-à-corps dans le dernier acte, qui relance un intérêt dans la façon de raconter l’histoire et de la posture adoptée, même si le souvenirs de l’artisanat racé de Sam Mendes sur les deux précédents films reste difficile à oublier.

Mourir peut attendre - Lashana Lynch

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Dans ce règne de personnages, les femmes réussissent à sortir du lot. Lashana Lynch incarne le nouvel agent double-0 Nomi avec beaucoup de fougue, tandis que la « correspondante » cubaine Paloma bénéficie de la facétie d’Ana de Armas. Léa Seydoux compose une partition en intériorité, au contraire de Daniel Craig, apparemment privé de direction d’acteur, n’arrivant pas à trouver le ton juste dans l’ironie, la classe et la dimension terre-à-terre qui avaient marqué ses précédents épisodes. Parce qu’encore une fois, le monde des superproductions hollywoodiennes a fait son chemin : les Marvel ont imposé une hybridation entre castagne sérieuse et second degré assumé, Christopher Nolan a instauré le film-concept en norme et en buzz, les prequels (X-Men, La Planète des singes) se sont rattachés à des destins mythologiques, Denis Villeneuve a allié le fond et la forme. James Bond a perdu ses réflexes, mais n’exprime pas son potentiel. Mourir peut attendre s’use donc à trouver sa patte, lost in translation entre la fin d’une époque – celle des années 2000 – et le début d’une autre en pleine réécriture, conditionnée aux évolutions d’un secteur et de ses franchises.

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A propos de Thibault Vicq

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