Autant qu’un film sur l’éclosion d’une passion entre deux femmes de lettres, Vita & Virginia évoque la gestation d’Orlando, un des romans les plus étonnants de Virginia Woolf. Dans ce premier long métrage de la réalisatrice, la littérature est intimement liée au désir, à l’amour et à l’art. La séquence d’ouverture fait se succéder les inserts sur la rotative de la Hogarth Press, la maison d’édition des Woolf, qui tourne frénétiquement, comme pour signifier l’urgence de la création. En effet, l’écriture est le point de résonance du désir, dans ce biopic qui relate la passion homosexuelle de deux femmes de lettres du début du XXe siècle. Virginia Woolf et Vita Sackville-West se rencontrent pour la première fois en 1922, mais c’est après la publication de Mrs. Dalloway que l’excentrique Vita cherche à faire la conquête de Virginia, écrivaine géniale et introvertie. Ces deux artistes émancipées et créatives n’auront de cesse de défier les conventions victoriennes pour imposer chacune son style et sa manière de vivre.
A ce titre, la séquence de l’interview radiophonique de Vita Sackville-West et de son mari, invités à exposer leur conception du mariage, est emblématique de cette commune volonté d’émancipation. La légèreté, l’humour tout british du couple, leur savoureuse joute verbale dévoilent une vision moderne et décapante de la vie à deux. Aux paroles suivent les actes puisque, une fois l’interview terminée, mari et femme repartent au volant de leur décapotable dans des directions opposées, non sans s’être au préalable salués cordialement. Si le mode de vie dispendieux de Vita et ses origines aristocratiques peuvent à première vue expliquer cette liberté, le spectateur balaye bien vite cette hypothèse lorsqu’il fait la connaissance de lady Sackville, incarnée à l’écran par la géniale Isabella Rossellini. Apparition à la fois grotesque et dangereuse, la mère de Vita fait entendre, sous des dehors bon enfant, sa violente désapprobation à l’égard de l’indépendance de sa fille et de l’influence néfaste que Virginia Woolf pourrait exercer sur elle.
Dans Vita & Virginia, le biopic se défait des lourdeurs de la narration historique par des incursions dans l’onirisme et par une bande son surprenante. En cela, le film de Chanya Button est résolument contemporain et donne même l’impression de regarder notre époque depuis celle du Bloomsbury Group. Son audace formelle tranche assez avec l’époque dans laquelle il s’inscrit, poétisant l’atmosphère et emportant le spectateur dans les recoins intimes et tortueux de la passion amoureuse et de la création artistique. C’est ainsi que l’entêtant refrain électro fait écho à la musique de la phrase, au rythme de l’écriture. Suggérant l’éveil au désir de Virginia Woolf, le film est parcouru par un frisson sensuel – des murmures de plaisir, de lointains gémissements forment comme une basse continue qui instille un érotisme latent, procédé auquel on ne reprochera que le caractère un peu systématique. Le film utilise plus ou moins efficacement les distorsions de la perception visuelle pour nous faire entrer dans l’esprit malade de Virginia Woolf, alors en proie à des hallucinations douloureuses. Son point de vue nourrit le spectacle du monde avec la sensibilité exacerbée qui caractérise cette femme sur la brèche. Les effets spéciaux, magistralement réalisés, servent dans l’ensemble bien le film mais donnent parfois l’impression de relever de la coquetterie, à l’instar des costumes somptueux et de la beauté renversante des actrices, qui confèrent peut-être une touche un peu trop glamour à cette aventure.
Certes, Vita & Virginia n’évite pas les passages convenus en cherchant à restituer le climat artiste d’une société avant-gardiste : ébullition intellectuelle, vernissages, voyages, couples libres et homosexualité socialement refoulée mais intimement assumée… C’est ainsi que Virginia Woolf apparaît pour la première fois à Vita Sackville-West lors d’une soirée costumée sous les traits d’une ensorceleuse, Salomé blonde parée d’un déguisement à l’orientale. S’amorce alors une scène de séduction où les jeux de regards nourrissent la montée du désir. Si l’on peut arguer d’une certaine lourdeur dans la mise en scène, celle-ci met cependant bien en évidence la complexité de la relation qui unissait les deux femmes, relation construite sur une mystification réciproque, sur des rapports de force allant parfois jusqu’à la perversion. Chanya Button parvient bien à montrer comment l’admiration de Vita Sackville-West pour la romancière de génie entre constamment en conflit avec sa volonté de domination, comment la dureté de Virginia Woolf et l’impénétrabilité de Vita Sackwille-West font obstacle à leur amour.
Certains épisodes pourraient sembler ne servir qu’à attester la vraisemblance du récit et jalonner l’intrigue de faits attendus. Cependant, l’intérêt de Vita & Virginia tient davantage à la manière dont le film rend compte des émotions amoureuses et donne à voir la transformation d’une déception sentimentale en acte de création littéraire. La réalisatrice, qui a consacré son mémoire de fin d’études à la correspondance et aux essais de Virginia Woolf, parvient à retranscrire les échanges intellectuels des deux femmes, tout en faisant la part belle à la dimension charnelle de leur aventure. Si l’on peut reprocher à Vita & Virginia certains procédés formels un peu systématiques, cette stylisation visible a l’avantage de conférer un cadre cohérent, un écrin soigné à un film fondé quasi exclusivement sur une relation épistolaire où percent le désir et la fascination réciproque.
Durée : 1h50
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