Charline Bourgeois-Tacquet – « Les Amours d’Anaïs »

Après son merveilleux court-métrage Pauline asservie (2018), Charline Bourgeois-Tacquet a présenté cette année son premier long-métrage, Les Amours d’Anaïs, à la Semaine de la Critique à Cannes.

Anaïs (Anaïs Demoustier) a trente ans et termine une thèse en lettres sur la passion au XVIIième siècle. Elle a un amoureux qu’elle n’est plus sûre d’aimer. Elle rencontre par hasard Daniel (Bruno Podalydès), qui tombe tout de suite sous son charme. Mais Daniel vit avec Émilie, qui plaît aussi à Anaïs.

© Haut et Court distribution

Trouver sa place entre plusieurs espaces du désir tient alors lieu d’action à ce film plein de vitalité. Dès les premiers plans, le personnage d’Anaïs est pris dans ce mouvement, mouvement qui est au cœur de la mise en scène. Anaïs court, s’agite avec autant d’ardeur que de hardiesse. Elle parle beaucoup, et vite, et la parole, loin d’être un fait d’immobilisme du récit, est aussi ce mouvement qui fait passer le personnage d’un état, d’un lieu et d’un corps à un autre. Si Anaïs ne tient pas en place, c’est pour ne pas se poser trop de questions et vivre intensément dans le présent : « c‘est par le saut qu’on arrive au chemin »1, et pour elle s’arrêter, c’est s’effondrer. Tout savoir, c’est être « condamné », « pétrifié ». C’est un personnage qui à la fois raisonne et se risque, théorise et s’abandonne. Le désir ne peut faire l’objet d’aucun savoir, d’aucun apprentissage, il est ce « moire » comme disait Barthes, mouvement de va-et-vient, impossible à circonscrire. Chaque parcelle d’un lieu parcouru, que ce soit une rue, un chemin ombragé, un cabinet de « curiosités » ou une plage est alors traversé de frémissements et de souffles qui passent comme sur celle d’une peau, d’un corps. Car si la mise en scène de la cinéaste est en perpétuel mouvement, à travers les plans-séquences qui laissent se déployer toute l’énergie du personnage et l’extraordinaire jeu d’Anaïs Demoustier, elle contient aussi cette sensualité : tout ce qui retentit en Anaïs lui fait désir. Aussi, lorsqu’Anaïs part à la conquête d’Émilie (Valéria Bruni-Tedeschi), la cinéaste filme l’attirance amoureuse dans un cadre qui devient là sous nos yeux un véritable territoire affectif. Il s’ouvre d’abord : Anaïs s’échappe de l’agitation des rues parisiennes et se retrouve en pleine campagne bretonne, hors des sentiers battus.

© Haut et Court distribution

Puis le cadre se resserre afin que la lumière irradie les visages, le grain des peaux. Peaux qui deviennent des surfaces d’affleurement où les deux femmes sont alors rendues à leurs désirs et à la puissance érotique qui les lie, sur une plage, près de l’océan.

Le film est une ode à l’affirmation du désir. Anaïs dit oui spontanément à l’aventure et au désir. Et parce qu’ « il n’y (a) pas à attirer le désir. Il (est) dans celle qui le provoque »2…la cinéaste ravit le spectateur qui regarde au plus profond de lui, avec légèreté et un sourire, ses propres désirs.

1 Heidegger

2 Marguerite Duras, L’amant.

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A propos de Maryline Alligier

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