La réécriture, le détournement et la notion de reprise sont devenus les usages classiques d’un certaine post-modernité, envahissant de plus en plus le cinéma de genre de luxe made in Hollywood, et ceci d’autant plus dans une certaine gamme de films d’action badass dont le récent, rigolo et finalement assez sous-estimé Bloody Milkshake (Navot Papushado, 2021) pourrait être la mouture la plus représentative. Renfield, regard de biais sur le mythe draculéen réalisé par Chris McKay (maître d’oeuvre de La Grande aventure Lego [2014]), trouve étonnamment sa place dans cette tendance de recyclage sauvage. A ceci près que si les autres films du paradigme, de qualité variable, utilisent leurs références dans un but ludique, pop, frénétique mais dans le but de leur rendre hommage par un geste esthétique visant à faire revivre une époque révolue de façon nostalgique, le film de McKay ne cherche, lui, qu’à étouffer l’oeuvre originelle dont il s’inspire sous le poids d’une époque contemporaine à laquelle il veut à toute force convenir.

Dracula figure du Mal (N. Cage) (©Universal Pictures)

L’une des premières séquences du film semble tout à fait programmatique : Renfield (Nicholas Hoult), homme de main du Comte Dracula (Nicolas Cage) depuis plus d’un siècle et demi, raconte en voix off son histoire depuis leur rencontre transylvanienne jusqu’à notre époque plus occidentalisée ; en introduisant ses personnages, le film utilise directemet les images de l’adaptation classique, mythique du roman par Tod Browning (1931). Sauf que McKay, par la grâce d’une imagerie numérique capable de tout, appose alors sur le visage de Bela Lugosi celui de Cage, et sur celui de Dwight Frye celui de Hoult. En une séquence philosophiquement proche de ce que peut générer le de-aging, Renfield s’auto-proclame tout à la fois apport légitime d’un mythe qui, par la technologie du cinéma, traverserait le temps jusque dans notre contemporanéité la plus aboutie, et palimpseste visant à éradiquer du champ de vision spectatoriel tous les apports précédents ayant justement constitué le mythe. Tel est le premier problème d’un film qui, à l’inverse de cette séquence constituant le générique d’ouverture, avance sans véritable masque : en voulant se faire confronter les images du passé et sa vision acharnée à se conformer à l’époque, le long métrage de McKay ne fait rien d’autre que de faire mine de terrasser le mythe comme le Héros le fit avec l’Hydre de Lerne, coupant les têtes pour en mettre de nouvelles, visant par là même à effacer l’historicité même du récit.

Avec Renfield, envers positif (N. Cage ; N. Hoult) (©Universal Pictures)

L’idée d’indistinction temporelle générée par la volonté de recyclage post-moderne dont nous parlions plus haut joue à plein pour mettre en place cette stratégie, faisant traverser le temps à ses personnages (du Comte Dracula déphasé et meurtri par son dernier combat obligé de se planquer dans un hôpital désaffecté situé au sein d’un New York interlope à son larbin donnant son titre au film et chassant dans les rues de la Grosse Pomme pour apporter à son maître son lot de sang frais) ainsi qu’à une certaine esthétique, piochant tout autant dans une imagerie « 42ème Rue » à la Frank Henenlotter (sans l’odeur de soufre politique exsudant des délires potaches de ce dernier) que dans une forme de baroque bigarré propre au gentil cinéma d’horreur de studio eighties de type Fright Night (Tom Hollad, 1985). Et pourquoi pas ? : Renfield se serait contenté de ses allures de baraque foraine alliant laideur et amusement mêlés de train-fantôme, nous aurions pu trouver l’exercice certes vain mais pas antipathique, jouant sur la corde sensible de nos amours de vidéo-club. Nous aurions pu nous divertir des pouvoirs de Dracula et de Renfield ne sachant pas se battre autrement qu’en cassant des bouches, en arrachant des bras et en fendant des crânes dans de grands élans gore en CGI épouvantablement hideuse jusqu’à en être drôle. Nous aurions pu nous émouvoir de ce personnage so 80’s de fliquette incorruptible (interprétée par Awkwafina), cherchant à venger la mort de son père si probe tué par une famille mafieuse mexicaine. Nous aurions enfin pu nous réjouir et nous amuser du taletueux surjeu du duo Cage/Hoult, très à sa place dans ce contexte d’horreur fun et multicolore qui pourrait faire passer le Beeetlejuice de Burton (1988) pour un drame dreyerien.

Esthétique eighties (N. Hoult) (©Universal Pictures)

Mais de se rendre compte progressivement que Renfield, paradoxalement très à la mode par l’usage de ses combines vintage, n’a pour ambition que de pulvériser le mythe draculéen, de le plier à la volonté d’un air du temps comme l’homme fort des fêtes foraines tordait des barres de fer pour faire s’ébahir à moindre frais une populace en recherche de performance, de l’évacuer pour faire de sa disparition le triomphe de Renfield le sans-grade, version positive (puisqu’ayant peu ou prou les mêmes pouvoirs que lui) du Comte Dracula portant allégoriquement en son sein le Mal absolu. Utilisant au sens le plus objectivant possible le grand personnage vampirique afin de servir un propos certes important (la notion d’emprise psychologique sentimentale) mais affaibli par ses velléités symboliques aussi lourdaudes que cyniquement opportunistes, Chris McKay, au lieu d’alimenter le mythe par le truchement du contemporain, fait tout l’inverse : il sert le contemporain en instrumentalisant un mythe qu’il assassine, le transformant en paillasson sur lequel il semble n’avoir aucune honte à marcher de façon allègre.

Le plus navrant dans cette affaire n’est cependant pas tant le film, pourtant misérable, que le fait terrible qu’il soit produit et distribué par les studios Universal, point névralgique de l’Histoire du cinéma d’horreur, ayant généré un bestiaire fantastique, donc une iconographie à nulle autre pareille, de Frankenstein à l’Homme Invisible en passant par le Loup-garou, et dont Dracula est la figure tutélaire. Par ce film, les fameux studios semblent siginifer leur souhait de nier leur histoire, leur propre mythologie, actant la mise à mort de leur passé prestigieux sur l’autel d’un présent tout à la fois plus médiocre, dispendieux et démagogique. Comme une nouvelle forme, moins directement idéologique que méchamment cynique, de cancel culture.

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A propos de Michaël Delavaud

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