Faces cachées commence par intriguer. La mise en place, habile et opaque, n’installe pas les enjeux clairement, ne cloisonne pas le film, préférant diffuser une atmosphère trouble. Il est toujours agréable de rentrer dans un film qui ouvre un champ des possibles aussi vaste. Hélas, ce plaisir ne sera que de courte durée, alors profitons-en. On y fait la connaissance de Rose, étudiante en médecine vétérinaire. En quelques plans millimétrés, ce personnage, taiseux et énigmatique, accompli ses tâches quotidiennes, professionnelles mêmes, avec une gestuelle dépassionnée, comme s’il se trouvait séparée de son corps, l’esprit ailleurs, tourmenté par un problème existentiel. On ne croit pas si bien dire. Rose a été adoptée et se décide à contacter sa mère biologique, Ellen, une actrice à succès, ce qui nous vaut une étonnante séquence de vampirisme, simulacre d’un genre qui n’appartient pas au récit. C’est une manière grotesque mais efficace de se débarrasser du fantastique qui imprégnait -consciemment ou non – les premières images très graphiques, proches de l’onirisme.
Ellen ne souhaite pas développer une relation avec sa fille, restant en retrait. Évidemment, pas besoin d’être devin pour cerner les motivations de ce refus lors d’une rencontre séminale tout en non-dit insistant. Très vite, il est évident qu’un lourd secret de polichinelle (dans le tiroir) empêche l’actrice d’afficher une affection pour sa fille. Pourtant, elle va finir par céder devant la détermination de Rose et lui avouer ce qui s’est passé 20 ans auparavant, avant sa naissance. Suite à la révélation, que seule une âme innocente, déconnectée du réel et du cinéma contemporain, ne saurait deviner, Rose, qui s’appelait à la naissance Julia, décide d’aller à la rencontre de son vrai père, un géologue reconnu, personnage charismatique aussi sincère et fiable qu’un politicien véreux dès son apparition.Dès la première confrontation entre la mère et la fille, le climat mystérieux et flottant du début s’évente pour laisser place à un psycho drame teinté de polar sur fond de vengeance. Christine Molloy et Joe Lawlor, auteurs du curieux mais très apprêté Helen – Autopsie d’une disparition et plus récemment du documentaire historique Further Beyond, reviennent avec un film dans l’air du temps, pamphlet féministe sur la toxicité masculine, dessinant notamment le portrait d’un homme, qui après avoir commis l’irréparable, a continué à mener tranquillement une vie de famille épanouie, tandis que les deux victimes continuent à souffrir en silence. Le scénario, inattaquable sur le fond, se construit progressivement, enfermant les personnages dans un récit programmatique, sans surprise.
Les cinéastes ne se focalisent pas sur la vengeance, ce qui aurait pu accoucher d’un vigilante movie un peu vénère, mais questionnent les notions d’identité, de vie manquée ou alternative, de blessures profondes liées à un traumatisme. Ils bottent en touche, retranché derrière leurs idées à la fois progressistes et consensuelles, d’autant que le film affiche de réels problèmes d’écriture. L’antagoniste, donc le père de Rose, souffre d’une caractérisation tellement outrée qu’il semble sortir d’un spot préventif sur les dangers du mâle Alpha. D’ailleurs, par son côté sympa et séducteur, il fait un peu penser à Richard Gere. Le portrait n’est pas faux mais manque d’ambiguïté et risque de conforter certains prédateurs, moins rentre-dedans, dans leur comportement plus nuancé. Une séquence très maladroite, où le père veut se taper sa fille, atteste de cette absence de subtilité dans cette œuvre au symbolisme pachydermique, appuyé par une voix-off pesante qui surligne constamment ce qui se passe à l’écran.
Faces cachées est un film à sujet, ce qui en soi n’a rien de problématique. Christine Molloy et Joe Lawlor tentent d’y greffer une forme très stylisée. Ce louable effort se révèle peu crédible à l’écran et contreproductif. La mise en scène, pour appuyer le ton mélancolique, se définit par une succession de plans décoratifs et de lents mouvements de caméra oppressants, enrobés par une musique omniprésente et sentencieuse, entre du Arvo Pärt et Lisa Gerard, par le compositeur Stephan McKeon à qui l’on doit également la partition pénible de Evil Dead Rise. L’impression de visionner une longue publicité n’est pas loin. L’influence néfaste de Terence Malick plane sur ce thriller intime qui échoue à nous faire ressentir la souffrance des personnages par son esthétique artificielle et sa dimension didactique, plombée par des dialogues sur-écrits. Ce film décevant, réalisé en 2019, est légèrement racheté par le talent des deux comédiennes principales, Ann Skelly et Orla Brady et la photographie somptueuse, écrin idéal pour mettre en valeur les magnifiques paysages irlandais. Mais c’est bien peu.
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