Le retour de Claire Denis à un cinéma plus sensoriel et moins linéaire, en renouant avec une forme où se mêlent flashbacks et flashforwards, où les ellipses en disent plus long que les dialogues didactiques d’Un beau soleil intérieur peut dérouter les spectateurs éblouis par le film co-écrit avec Christine Angot. Juliette Binoche laisse tomber ses parisiens apparats, franchit le périphérique, ultime frontière entourant le décor principal d’Un beau soleil intérieur, pour retrouver l’univers de Claire Denis, cette fois, dans un contexte de science-fiction. Après avoir tâté du cinéma de genre tendance gore, la réalisatrice de Trouble Every Day explore un autre genre qui ne lui est pas familier, la science-fiction.
Dans la blouse d’une infirmière matricide, Juliette Binoche embarque dans un vaisseau qui ressemble à une boite à chaussures maquillée, aux côté de Robert Pattinson, Mia Goth et plusieurs autres repris de justice condamnés à perpétuité. Leur mission ? Trouver de nouvelles sources d’énergie. Le voyage s’éternise, les relations sexuelles sont tabous et les tensions se créent pendant que l’infirmière de service tente de trouver qui détient le sperme idéal dans un but de reproduction tout aussi idéale.
High Life pourrait ressembler à un hommage à Dark Star s’il ne se pensait pas comme le nouveau 2001, A Space Odyssey. Malheureusement, du film de John Carpenter, celui de Claire Denis n’en garde que les aspects fauchés, l’humour et l’autodérision en moins. En renouant avec une narration éclatée, High Life donne l’impression d’une rencontre plus impossible qu’improbable entre Alain Resnais et Bruno Matteï. La science-fiction selon Claire Denis se résume à une absence d’apesanteur, expliquée en une ridicule ligne de dialogue, des tenues spatiales aussi fines que du papier à cigarette, une porte donnant sur un fond noir qui signifie l’espace intersidéral et quelques effets numériques assez laids. Malgré cela, la réalisatrice de Beau travail signe quelques beaux plans, comme celui du générique, et distille une certaine poésie dans un récit qui semble exclure toute forme de grâce. Comme souvent dans son cinéma, le rythme se fait contemplatif et, par une savante alchimie entre le son et l’image, High Life devient une véritable expérience sensorielle. Nul besoin de 4D, ce gadget inutile, comme le prouve l’agencement de brefs inserts soutenu par une belle utilisation de la musique lors d’une scène parmi les plus étranges du film. La réalisation se fait alors fièvreuse, sensuelle, onirique pour mieux pénétrer l’intimité de personnages torturés et désœuvrés.
Si High Life se voit traversé de fulgurances, il souffre cependant d’un scénario peu original et peine à convaincre. Le film se veut âpre par le biais de ses personnages, assassins sur la voie du rachat, alors qu’il ne fait que rabâcher des poncifs sur la nature humaine. La faute revient à une direction d’acteurs inégale et à des scènes d’action molles au comique plutôt involontaire. Sous une violence visuelle digne d’une production The Asylum et un nihilisme de bon aloi, se devine la volonté de choquer le spectateur. Las, seul le bourgeois peut se sentir accidenté par les quelques allusions à la semence masculine et la vision de sauce tomate étalée sur le visage d’un comédien, ce sens dépassé de la provocation et ces effets fauchés prêtant bien plus à rire ou à pousser quelques soupirs d’agacement. Surtout lorsque Robert Pattinson erre dans le cadre, comme s’il ne comprenait pas ce qu’il doit jouer ou devant la motivation de certains personnages qui paraît plus que mystérieuse lors de raccourcis scénaristiques stupides.
Finalement, High Life affiche une certaine convenance et se révèle bien vain dans sa description d’une humanité sur le déclin. En brassant cette thématique très dans l’air du temps, l’extinction de l’espèce humaine, Claire Denis n’arrive cependant pas à dissimuler la banalité de son propos : la rédemption, le renouveau et, enfin, l’espoir, qui émergent dans un final qui veut faire écho au 2001, A Space Odyssey de Stanley Kubrick. Certes, le film bénéficie d’une forme intéressante, osée, parfois extrême, et possède tout de l’œuvre malade, tiraillée entre son modeste budget et ses prétentions, mais ne camoufle jamais son statut de jouet à la fois beau et fragile.
High Life
(Allemagne/France/Grande Bretagne/Pologne/États-Unis – 2018 – 110min)
Réalisation : Claire Denis
Scénario : Claire Denis, Jean-Pol Fargeau, Geoff Cox
Direction de la photographie : Yorick Le Saux, Tomasz Naumiuk
Montage : Guy Licorne
Musique : Stuart Staples, Tindersticks
Interprètes : Robert Pattinson, Juliette Binoche, Mia Goth, André Benjamin, Lars Eidinger, Agata Buzek…
Sorte en salles, le 7 novembre 2018.
Photos © Wild Bunch Distribution.
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