La problématique assez récurrente  qui occupe l’esprit des cinéastes investissant le champ du handicap physique  et/ou mental à travers le documentaire se rattache au  désir de faire « du cinéma », de creuser un sillon où la fiction contamine le réel. Cette approche traduit une volonté de s’affranchir d’un positionnement institutionnel enraciné par défaut dès qu’il s’agit d’observer les relations soignants/patients dans les murs d’une institution. Il en découle une appétence naturelle de brouiller les frontières entre la prise directe du quotidien et l’élaboration complexe d’une œuvre à la fois visuelle et narrative.

Loup y es-tu ?

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Dans le remarquable Dans la terrible jungle, portrait d’adolescents déficients visuels avec des troubles associés, Caroline Lapelle et Ombeline Lay transcendaient la matière brute par leur regard de plasticienne et la place ludique qu’elles laissaient aux jeunes. L’imaginaire contaminait ce beau film singulier. Clara Bouffartigue s’y prend autrement mais la démarche de combiner l’imaginaire et le réel est la même. Elle a choisi d’insérer des séquences d’animation dont l’inspiration fantastique évoque immédiatement le petit gothique illustré d’un Tim Burton. Mais ces interludes offrent davantage une lecture discursive que féérique. Elles prennent valeur de commentaire explicatif, sous une forme métaphorique, de la démarche singulière de la réalisatrice. Si ces petits intermèdes fantaisistes sont plaisants à  défaut d’être toujours pertinents au regard de la puissance réelle du reste du film, ils permettent néanmoins au spectateur de respirer, de souffler et de prendre du recul sur les situations exposées.

Loup y es-tu ?

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Dans Loup y es-tu ?, il s’agit bien d’en finir avec la peur du loup, donc de la peur de l’inconnu, de cette nécessité de grandir, d’affronter ses propres angoisses. A l’intérieur d’un CMPP (centre médico-psycho-pédagogique) renommé mais sciemment non identifié, des adolescents, des jeunes adultes, des enfants et leurs parents viennent consulter une équipe pédagogique dans laquelle les fonctions ne sont pas clairement déterminées entre psychologues, enseignants, éducateurs spécialisés et psychomotriciens. Les jeunes patients – ou pour prendre un terme plus juste et approprié « usagers »  – souffrent de troubles qui ne sont pas explicites à l’écran afin, sans doute, de préserver le secret professionnel mais aussi de ne pas influencer le spectateur vierge de tout renseignement. La réalisatrice nous invite à partager des moments précieux où la parole circule dans des configurations triangulaires variables  entre soignants, parents et enfants. Cette approche au plus près des besoins des personnes passe par le jeu, le dialogue, le silence. Dans un climat de bienveillance à la fois plein de douceur et d’énergie, Clara Bouffartigue filme des accompagnements qui tendent non pas vers une guérison mais une autonomie, dans un processus global intégrant les familles comme des acteurs essentiels  du dispositif de « rééducation » dans le secteur médico-social.

Loup y es-tu ?

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Loup y es-tu ? étonne par la finesse du regard, la pertinence des interventions laissant tout le monde s’exprimer librement sans jugement ni contrainte. Il règne une sorte de démocratisation des échanges dans ce documentaire d’utilité publique pour les néophytes et crédible pour ceux qui connaissent le fonctionnement de ce type d’établissement. Le film dresse un constat très positif de la situation, occultant certaines zones d’ombres; le cœur du projet n’est pas de pointer les dysfonctionnements mais bien d’observer avec clarté la capacité des uns et des autres à agir et s’impliquer ensemble quelque soit les conditions et situations des individus.

La mise en scène faussement anodine, si l’on s’en tient à une image numérique à la texture très lisse, impressionne par la justesse du montage, l’équilibre des interventions en groupes thérapeutiques ou rencontres individuelles. Clara Bouffartigue  a mis cinq pour réaliser le film avec quinze mois de tournage et six mois de montage. De quoi relativiser l’apparente modestie de l’ensemble qui a également demandé un travail colossal de préparation en amont.

Traversées de séquences cocasses, touchantes et bouleversantes, de moments suspendus où les points de vue se télescopent, les réflexions s’enrichissent en interaction dans des espaces divers (salle d’attente, bureaux, salles de réunion), Loup y es-tu ? est la démonstration vivante que la subjectivité sincère  – et affichée – rend compte d’un réel tangible bien davantage que des documentaires à l’objectivité douteuse.

 

 

 

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