Pour son nouveau film, Clint Eastwood s’est inspiré de faits réels avec son scénariste Billy Ray : l’attentat qui a eu lieu le 27 juillet 1996 au Centennial Olympic Park, lors des Jeux d’été à Atlanta- – le « centenaire » des J.O. d’Athènes de 1896 est alors fêté -, et l’enquête menée dans les mois qui suivirent. Les deux hommes se sont principalement servis d’un article publié par Marie Brenner, dans Vanity Fair, en février 1997 (1), mais aussi de l’ouvrage The Suspect de Kent Alexander et Kevyn Salwaen (2).
Le Cas Richard Jewell s’ajoute à la liste des films-reconstitution de l’auteur d’American Sniper (2014), comme Sully (2016) ou Le 15h17 pour Paris (2018). Il s’en distingue cependant par l’émotion qui en émane et qui, selon moi, manquait gravement à ces deux œuvres. Et, aussi étonnant que cela puisse paraître, il se rapproche de celles, plus personnelles, tournant autour de l’acteur-personnage Eastwood lui-même : Gran Torino (2009) et La Mule (2018).
Richard Jewell, qui a découvert la bombe juste avant qu’elle n’explose – son intervention a permis de minimiser le nombre de victimes -, devient LE suspect désigné arbitrairement par le FBI qui imagine que le coupable est un homme blanc frustré qui veut de faire passer pour un Sauveur. Les poursuites ne s’arrêteront contre lui que 88 jours après l’enquête, faute de preuves. Le cinéaste a réussi, avec l’acteur Paul Walter Hauser – plutôt cantonné jusqu’alors à des seconds rôles -, à construire une figure très touchante, on ne peut plus humaine.
Jewell joué par Hauser : un homme au physique peu flatteur, mais qui a un côté gros nounours. Un enfant qui rêve de devenir policier – voire agent des Services Secrets – et qui va jusqu’à défendre ceux qui le harcèlent, d’autant plus qu’il se sait innocent et qu’il n’imagine pas, dans un premier temps… qui dure, que ceux qu’il place sur un piédestal sont des manipulateurs. Qui en arrive à s’auto-culpabiliser. Marie Brenner rapporte que Jewell, voulant aider la police dans son enquête sur – contre – lui, est allé jusqu’à porter une chemise brillante pour être plus facilement repéré. Ce détail n’a pas été retenu dans le film.
Jewell est un Américain moyen tendance sudiste – le genre d’individu appelé « ned », c’est-à-dire « beauf ». Il aime l’ordre, est favorable à la peine de mort, collectionne les armes à feu de tous calibres. L’idée que l’on puisse le prendre pour un homosexuel – le FBI le sous-entend – le rend malade. Cela dit, les auteurs évitent tout ce qui pourrait rendre le héros antipathique : pas de trace de racisme ou de sympathie pour le Ku-Klux-Klan – je ne sais pas ce qu’il en était concernant le vrai Jewell.
Le personnage est riche, cependant. Il est prévenant, transpire la gentillesse. Il est cultivé, connaissant par exemple la formule latine « quid pro quo » – significative dans le cadre du récit. Il lit des livres, connait le cinéma. Et il est perspicace, très méthodique dans son travail, se montrant plus prudent, plus professionnel que les autres agents ou les policiers qu’il côtoie au Parc du Centenaire. C’est grâce à son zèle positif, à sa fine sagacité – il est appelé « radar » par une connaissance, comme il le fut dans la réalité – que la police accepte de s’intéresser au colis abandonné qui contient les explosifs. Jewell comprend certaines des intentions cachées – quoique pas bien méchantes – de celui qui va devenir son avocat, Watson Bryant… notamment le besoin pour celui-ci de se faire un nom dans son secteur d’activité. Il a l’heureuse présence d’esprit de ne pas tomber dans le piège tendu par le FBI pour qu’il signe des aveux avant qu’une enquête en bonne et due forme n’ait été ouverte.
Le problème de Jewell est que, malgré ces qualités susmentionnées, son sens des réalités, son expérience, il est d’une grande naïveté, et que, ayant subi des sarcasmes tout au long de sa vie, notamment sur son physique, il manque atrocement de confiance. Il prend sur lui, n’arrive pas à sortir de ses gonds. Le rôle de son avocat va consister à le secouer, à lui permettre d’affronter les agents du FBI. À s’affirmer. Jewell y parviendra. Il grandit, mûrit et c’est quasiment lui qui mène les débats lors d’un interrogatoire décisif.
Le film est aussi une histoire d’amitié et d’apprentissage.
Le jeu auquel aboutit Paul Walter Hauser à l’issue de l’aventure de Jewell – quand celui-ci apprend qu’il est blanchi – est magnifique : un mélange de larmes de joie et de larmes de tristesse, ces dernières exprimant une souffrance restée trop longtemps enfouie, contenue, inexprimée.
Clint Eastwood mène une charge violente contre le pouvoir central que représente le FBI. Il y a un slogan à peine subliminal dans le bureau de l’avocat Watson Bryant. C’est une affiche accrochée à un mur et sur laquelle est inscrite la phrase : « I fear government more than I fear terrorism ». Une comparaison des USA avec la Russie passe à travers les dialogues. On remarque aussi, si on est très attentif, le signe moqueur envoyé aux agents du FBI mis en scène dans le film sous la forme d’un titre de livre que lit Jewell : Outrage : The Five Reasons Why O. J. Simpson Got Away with Murder. Dans cet ouvrage publié en 1996, le procureur Vincent Bugliosi met en cause les faiblesses, les erreurs de la police et de la justice dans l’affaire criminelle au cœur de laquelle s’est retrouvé le footballeur américain.
Eastwood attaque également de façon virulente les médias – journaux et télévisions -, tellement affamés qu’ils attendent qu’on leur dise n’importe quoi. La presse qui érige le jeune homme – qui a une certaine humilité et modestie – en héros, à vitesse grand V, et qui, tout aussi brusquement, le traîne dans la boue, l’insulte. Eastwood et le scénariste Ray s’inspirent des faits réels, mais ils mettent très en avant la journaliste qui la première a obtenu l’information confidentielle selon laquelle le FBI soupçonne Jewell (3). Elle se nomme Kathy Scruggs.
Scruggs, qui a un langage vulgaire – quasi phallique -, est prête à tout pour obtenir des informations qui la hisseraient au rang de vedette, elle qui semble considérée par ses collègues comme une journaliste de caniveau ne sachant pas écrire – elle est aidée par un collègue gratte-papier. Parmi ses atouts, son physique et son comportement de cougar. Une vipère qui fait mordre à son hameçon le principal agent du FBI chargé de l’affaire, Tom Shaw. L’avocat Watson Bryant aura l’occasion de la qualifier d’ « ignorante », d’« arrogante » et d’« ambitieuse », de lui lancer qu’elle est un « parasite » – un mot qui percute de nos jours. Il me semble à deux doigts de la traiter de putain.
Eastwood et Ray connaissent les ressorts du mélodrame, mais ils ont peut-être manqué de tact. Et ce même si on remarque que Marie Brenner parle de la journaliste comme étant une « groupie » de la police, ce qui n’est pas insignifiant pour celui qui connait le milieu du rock. Judith Scruggs est décédée et ne peut donner sa version des faits – c’est ce qui explique peut-être que les auteurs du film gardent son nom, alors qu’ils changent celui de l’agent du FBI qui de Don Johnson devient Tom Shaw (4). Des témoignages affirment que Judith Scruggs a été très affectée par l’affaire Jewell et que sa fin prématurée pourrait être liée à cette aventure mal vécue – son décès a été provoqué par une overdose de drogue.
Le Journal qui employait Scruggs, l’Atlanta Journal-Constitution, s’est plaint du portrait qui est fait de la journaliste. Il a accusé Eastwood et ses collaborateurs d’utiliser les mêmes méthodes vis-à-vis de celle-ci que celle du FBI vis-à-vis de Jewell – oubliant un peu rapidement le mal qu’il a causé à Richard Jewell en couvrant l’affaire comme il l’a fait (5). Eastwood a déclaré concernant les modes d’investigation de Scruggs : « We know as much as anybody knows. Kathy Scruggs was a very interesting personality, and she did find the answer to it, so how she did it, nobody will ever really know. It could have certainly happened this way ». (6). Le 12 décembre 2019, Olivia Wilde, l’actrice qui incarne la journaliste, a écrit sur Tweeter, d’une manière pas forcément très convaincante : « The perspective of the fictional dramatization of the story, as I understood it, was that Kathy, and the FBI agent who leaked false information to her, were in a pre-existing romantic relationship, not a transactional exchange of sex for information ». Et : « Contrary to a swath of recent headlines, I do not believe that Kathy “traded sex for tips”. Nothing in my research suggested she did so, and it was never my intention to suggest she had. That would be an appalling and misogynistic dismissal of the difficult work she did ».
Difficile de prendre position. Je ne vois pas véritablement de sexisme dans le traitement du personnage. Plutôt un schématisme regrettable, du manichéisme.
On pourra rétorquer qu’Eastwood et Ray permettent à la jeune femme de se rédimer. Après une confrontation électrique avec Jewell et son avocat, Judith Scruggs change. Elle enquête et arrive à la même conclusion que Watson Bryant et son assistante : Jewell ne peut être celui qu’imagine le FBI. On la voit même pleurer en prenant conscience du calvaire enduré par l’ex-agent de sécurité. Mais ce passage nous semble bâclé, expédié à peu de frais. Non crédible au niveau du film.
Kathy Bates, l’actrice qui joue Barbara alias Bobi, la maman de Richard Jewell, fait des merveilles – comme Paul Walter Hauser, donc – pour émouvoir le spectateur ou d’autres personnages, voire les faire pleurer. Son moment de gloire a lieu lors d’une conférence de presse où elle supplie le Président Bill Clinton de faire cesser le calvaire de son fils. Watson Bryant la félicite, et on ne sait s’il congratule la comédienne ou la maman de son client… Quand le profilmique s’invite dans la diégèse…
… Bien joué Clint.
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Notes :
1) « American Nightmare : The Ballad of Richard Jewell ». Consultable dans les archives numériques de la revue :
https://archive.vanityfair.com/article/share/1fd2d7ae-10d8-474b-9bf1-d1558af697be
* Le texte a été inclus par Marie Brenner dans son ouvrage intitulé Richard Jewell : And Other Tales of Heroes, Scoundrels, and Renegades [Simon & Schuster, New York, 2018].
2) The Suspect : An Olympic Bombing, The FBI, The Media, and Richard Jewell, the Man Caught in the Middle, Harry N. Abrams, New York, 2019.
3) C’est mentionné – rapidement – dans le film, mais il faut bien avoir en tête qu’à l’époque le pays est encore secoué par l’attentat perpétré le 19 avril 1995 à Oklahoma par Timothy McVeigh – qui avaient des complices. McVeigh était influencé par les suprématistes blancs. 168 personnes sont mortes et près de 700 furent blessés.
4) Cela étant dit, il semblerait que l’on ne sache pas si c’est précisément de lui, l’agent fédéral Don Johnson, que la journaliste Kathy Scruggs a obtenu les renseignements sur Jewell.
5) Il faut savoir que le vrai Richard Jewell, qui avait d’ailleurs plusieurs avocats, et pas un seul, a attaqué les médias en justice. Concernant l’Atlanta Journal-Constitution, la plainte est lancée pour diffamation en janvier 1997. La Cour Suprême de Géorgie a rendu son verdict définitif en janvier 2012. Elle a débouté l’accusation, considérant que le Journal s’est contenté de relater un fait avéré.
Cf. Andréa Simmons, « Ga. court upholds ruling in Jewell suit », The Atlanta Journal Constitution, January 10, 2012.
https://www.ajc.com/news/local/court-upholds-ruling-jewell-suit/7T3NVagEyDY2zBM3TuV41I/
6) Déclarations orales relayées par le site 11alive.com.
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