Vu du prisme des réseaux sociaux où s’étalent les retours dithyrambiques suite aux séances aux diverses projections et avant-premières, The Substance de Coralie Fargeat serait LE film de genre de cette fin d’année, repoussant toutes les limites visuelles possibles, osant au-delà de l’imaginable. Au regard de ce que propose le long-métrage, c’est finalement cet engouement qui semble le plus intéressant à questionner, du moins dans ce que ça révèle du cinéma d’aujourd’hui.

Sans nul doute, les outrances graphiques, les innovations visuelles, une certaine sophistication et une bonne dose de gore, parties intégrantes du film, sont à même de provoquer des réactions physiques chez le spectateur ; cela suffit peut-être, à l’heure où une pléthore de productions conçues comme des robinets à image remplissent nos écrans, à susciter l’enthousiasme d’un public trop habitué à la médiocrité.

A contrario, dans ses intentions, The Substance semble lorgner vers une certaine catégorie de film de genre, laquelle a émergé depuis une décennie avec une génération de réalisateurs, estampillée A24 (ou pas) : Ari Aster, Jordan Peele et autre Robert Eggers. Est né un sous-genre, l’« Elevated Horror », autrement dit du cinéma de genre qui serait suffisamment subtil et intelligent pour être acceptables pour un public plus exigeant, en dehors du cercle des amateurs un peu geeks sur les bords, ce qui est méprisant à la fois pour le genre et les spectateurs.

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Récemment, c’est d’ailleurs le fameux Maxxxine de Ti West (qu’on adore par ailleurs : lien) qui fait figure de porte-drapeau de ce sous-genre, sans toutefois afficher de manière ostensible son « message ». Un simple coup d’œil dans le rétroviseur suffirait toutefois à démontrer que cette terminologie « elevated horror » est une supercherie et existe depuis belle lurette. Le cinéma horrifique a de tous temps été le vecteur d’une réflexion à la fois politique et esthétique, de Murnau à Romero en passant par Carpenter. Un seul postulat change réellement avec Coralie Fargeat : la caméra n’appartient plus aux seuls mâles blancs.

Nul doute que Fargeat a digéré toute cette culture du cinéma horrifique. C’est affiché d’ailleurs de manière ostensible (comme dans une quête de légitimité ?). Les références appuyées jalonnent son film comme autant de messages destinés – là encore – à un public à même d’en saisir la… substance. Dès les premiers plans, l’iconique couloir de Shining apparaît, jalonné par les affiches de la carrière d’Elisabeth Sparkle, ce personnage d’actrice en fin de carrière, joué par Demi Moore. L’imaginaire collectif est convoqué par les motifs iconiques de la moquette : les petites filles jumelles, le tricycle et l’inévitable rivière de sang. Fargeat semble ainsi dire : ce couloir du studio de télévision ne peut conduire qu’à l’horreur, à l’image de celui du couloir du fameux hôtel Overlook. Reste la question de définir ce qu’est cette horreur : s’agit-il de ce que le temps fait aux corps (des femmes en particulier) ? Ou plutôt de ce que le culte industrialisé de certains canons esthétiques provoque comme dégât ?

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Ancienne gloire du cinéma oscarisée, recyclée dans une émission TV matinale, le personnage d’Elisabeth devient un véritable symbole sous l’œil et la plume de la réalisatrice Française. Alors que son étoile sur Hollywood Boulevard a été le témoin de sa gloire et de sa décadence, l’actrice devenue coach fitness suscite d’emblée une gêne mêlée de pitié. Aussi, le cinéma lui-même restera hors-champ, réduit à cette étoile symbolique prise dans le béton. La gloire après laquelle Elisabeth Sparkle court, c’est bien son image à la TV, une silhouette au sourire faux se trémoussant en rythme. Fargeat semble d’ailleurs prolonger le lien fatal entre cinéma et télévision montré par Tarantino dans son Once Upon a Time in Hollywood.

La fameuse substance du film permet de créer à partir de soit une meilleure version de soi-même. Il s’agit d’une duplication améliorée, un corps créé à partir d’un autre corps, à la manière d’une mue d’insecte. La différence serait l’équilibre à respecter entre la copie et l’original : sept jours chacune et une ponction lombaire quotidienne pour stabiliser. A travers cette mue qui va la dévorer et la précipiter vers le délabrement, Elisabeth va vivre par procuration son rêve d’une carrière flamboyante.

Fargeat désigne le vrai méchant du film : le patriarcat. En montrant Sue, le clone jeune et parfait d’Elisabeth, la remplacer, puis la dépasser rapidement, par un montage très agressif de cadres serrés sur des fesses rebondies, des pauses lascives, des postures qui tiennent davantage du porno que du fitness, la réalisatrice raconte l’histoire, finalement pathétique, de deux victimes d’un système. Ainsi le film s’ajoute ainsi à la liste de ces productions plus ou moins horrifiques, sujet de débat sur leur féminisme supposé ou réel.

Au-delà de la quête de la jeunesse éternelle, déjà traitée au cinéma ou en littérature (Le Portrait de Dorian Gray, Báthory…), c’est bien la question des injonctions des hommes sur les femmes, à travers le personnages du producteur joué par Dennis Quaid, lequel traduit – avec une subtilité pachydermique – des diktats vis-à-vis des corps jeunes au galbe parfait.

Ainsi victimisées, prises dans des spirales obsessionnelles (un corps parfait versus la grande bouffe), la sororité devient impossible et l’auto-destruction, avec elle son lot de mauvaises décisions, inéluctable.

Malgré quelques scènes convaincantes, la première partie du film montre ces enjeux, quitte à verser dans une certaine lourdeur. Les personnages masculins malheureusement bien peu subtils (le producteur de télévision caricatural, le voisin libidineux, l’amant inconsistant…), accentuent un propos qui se suffisait déjà à lui-même.

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Bien sûr, grâce à de « vrais » effets spéciaux très convaincants et deux actrices extraordinaires, Demi Moore et Margaret Qualley, Fargeat parvient à évoquer les souffrances physiques (en se permettant de filmer des corps tel qu’aucun homme ne le ferait aujourd’hui) et les chairs meurtries. Par ce biais, elle parvient à montrer des images inédites, sidérantes, tout en citant quasiment à chaque instant ses références (Cronenberg, Yuzna, Zemeckis…) sans jamais parvenir à les dépasser.

Pour autant, il est possible de comprendre le film comme un véritable geste de colère, comme s’il s’agissait avant tout d’une revanche à prendre, en particulier avec une dernière partie absolument jubilatoire. Le film bascule dans le lâcher-prise et la perte de contrôle, laissant affleurer, sous le vernis d’un sourire enjôleur, des pulsions coupables et la haine de soit, révélatrice d’une peur immense, celle que renvoie un miroir montrant sa propre décrépitude.

Tout conduit au grotesque dans ce final malaisant à souhait, prétexte à des gags horrifiques géniaux. Le grand-guignol renvoie le spectateur à son propre dégoût, et peut-être est-ce là d’ailleurs la principale faille du film. Malgré la souffrance qui est montrée, l’empathie est impossible et la douleur reste sans réponse, assénée au spectateur.

Avec ses partis pris esthétiques forts, comme ce montage très « cut » (en vogue dans les années 90 à l’instar du Natural Born Killers d’Oliver Stone) ou l’utilisation du « fisheye », la réalisatrice semble se satisfaire du formalisme de son objet. Comme prise à son propre piège, Coralie Fargeat prend le risque d’une mise à distance avec un public avec lequel elle recherche pourtant constamment la connivence.

C’est peut-être ce paradoxe qui rend « The substance » à la fois fascinant et limité. En tendant le leurre du jamais vu,  en cherchant à ce point à être de son temps – entre sa thématique et ses citations  – elle offre finalement un film déjà un peu dépassé. 

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A propos de François ARMAND

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