Corniche Kennedy est une chronique adolescente âpre et lumineuse, fixant des vertiges entre ciel et mer. Sur la Corniche, une bande de jeunes des quartiers populaires brave lois et dangers pour le frisson du plongeon. Depuis sa maison cossue, Suzanne (Lola Créton) observe les exploits de Marco, Mehdi, Franck, Mélissa, Hamza, Mamaa et Julie. Envieuse et rêveuse, elle cherche à franchir les barrières sociales et à intégrer le groupe.
Délaissant sa préparation du bac et son lycée, Suzanne trouve sa place dans sa nouvelle bande, quitte à rester un peu en marge. Elle se distingue dans le trio qu’elle forme avec Mehdi (Alain Demaria) et Marco (Kamel Kadri), lequel gagne peu à peu en autonomie pour révéler les complicités et les désirs souterrains qui traversent les adolescents. Déjà, au début du film, Suzanne s’initie au saut en se calant davantage sur l’expérience pulsatile du choix risqué que sur l’identité de groupe, et on comprend assez rapidement qu’elle vient moins chercher une fratrie qu’un nouvel horizon.
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L’actrice Lola Créton a tout ce qu’il faut de rocailleux et de rugueux pour se fondre dans cette bande métissée : la matité du regard, la verdeur de ton, un jeu spontané et un air renfrogné, qui expriment le désir d’ailleurs de Suzanne. Avec naturel, elle donne la réplique aux minots de Marseille, que Dominique Cabrera a recrutés parmi des jeunes ayant l’habitude d’effectuer des sauts risqués (jusqu’à 18 mètres de hauteur). Leur jeu délié et sensible, la grâce de leurs corps adolescents, sublimée par le décor, mettent en relief leur besoin de rêve et de liberté. Une fois dans les airs, il n’y a plus de barrières sociales : elles cèdent dans la conscience du danger, puis dans la décharge de plaisir.
À ce titre, les scènes de sauts sont magistrales : filmées de près, elles captent les expressions de peur et les hésitations d’un moment crucial. Tout autant que l’aspect spectaculaire, c’est la dimension symbolique qui importe. Dans la confrontation à sa propre vie, le risque vaut acte d’accomplissement ; chaque préparation au saut est vécue avec l’intensité du dernier moment. La Corniche devient la brèche où se tiennent ces jeunes faisant face à l’existence : à chaque fois, avec le risque d’aller se fracasser sur la mer, se renouvelle le choix de céder à sa peur ou de la surmonter.
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La réussite de Corniche Kennedy tient à un remarquable travail sur la photographie (Isabelle Razavet en directrice de la photo) : les miroitements de l’eau et la lumière naturelle du bord de mer sont d’une grande beauté visuelle. L’énergie insufflée par les scènes de sauts et le décor marin restituent la force minérale et organique de la langue de Maylis de Kerangal. La caméra capte les flux de la nature dans d’infimes détails : dans le clignotement irisé des tentacules d’un poulpe, dans le mouvement des nuages ou des herbes automnales, dans les rochers baignés de lumière froide. Le scénario reste à la surface des émotions, épouse les sensations d’immédiateté, détaille la chair de jeunes corps lézardant au soleil. Ce décor de littoral, harmonieux, est un contrepoint au milieu urbain, traversé de dissonances sociales et de violences meurtrières. Mais le versant criminel exploité dans l’intrigue policière est moins convaincant.
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Là où la chronique adolescente est vibrante de vivacité, le thriller souffre d’une narration trop schématique. Certes, elle était déjà secondaire dans le roman de Maylis de Kerangal, mais Dominique Cabrera ne parvient pas à hisser cette seconde intrigue au rang de la première : privée du langage poétique de la lumière et des couleurs du littoral, le polar est bien fade. Le scénario est aplani par une approche trop factuelle des luttes policières contre le trafic de stupéfiants ; les caractéristiques psychologiques des flics et bandits, peu creusées, se réduisent à des étiquettes. Et même à la fin, quand, à la croisée des chemins, l’inspectrice Awa se retrouve face à Suzanne et Marco dans un moment de vérité, l’effet n’est pas convaincant. Et ce n’est pas faute d’avoir effectué des choix singuliers, puisque Dominique Cabrera a confié le rôle de l’inspecteur à une femme noire (Aïssa Maïga), allant à l’encontre de bien des stéréotypes. À noter toutefois que le jeu d’Aïssa Maïga et Moussa Maaskri, tout en simplicité et retenue fait la part belle du polar.
Durée : 1h34
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