Le cinéma de Darren Aronofsky n’a jamais été un modèle de subtilité, toujours sur la brèche de la performance pour impressionner le spectateur qui sort, le plus souvent éreinté psychologiquement, et même physiquement, d’expériences qui défient souvent les lois du bon goût et de la bienséance. De ce passage en force, on retiendra surtout la puissance de ces deux premiers longs, Pi et Requiem for a dream, devenus cultes, même si le temps a quelque peu érodé la beauté brute de ces deux essais à l’esthétique très marquée par leur époque. Six ans après l’épuisant, et encore c’est un euphémisme, Mother!, trip hallucinatoire à mi-chemin entre Roman Polanski et les Monty Python période The Meaning of Life, il revient avec un projet d’apparence plus sobre, adaptation d’une pièce de théâtre de Samuel D. Hunter, centrée sur un personnage hors norme dans une unité de lieu. Charlie, enseignant dépressif et obèse, vit reclus chez lui depuis la disparition de son petit ami, décédé quelques années auparavant. Proche de la mort, il va tenter de renouer avec sa fille qu’il a abandonné pour vivre sa passion amoureuse. Darren Aronofsky renoue avec la sobriété de The Wrestler, beau portrait d’un catcheur déchu avec un Mickey Rourke revenu du purgatoire. Il s’agit même d’un film miroir, déployant la même thématique, celle de la rédemption d’un marginal qui va finir par trouver une forme d’apaisement. Hélas, The Whale, de par sa construction dramaturgique programmatique, déploie durant deux heures les pires travers du mauvais théâtre filmé, boursouflé par une virtuosité aussi vaine que poussive.
Un exemple est symptomatique de l’échec du film, qui n’est peut-être qu’un détail mais qui finit par exaspérer, par sa répétition presque (involontairement) comique. Chaque entrée de personnages dans l’antre étouffante du « monstre » est signalée par un effet en arrière-plan, distinguant la silhouette par une fenêtre, avant de frapper à la porte. La première fois, c’est malin. Au bout de dix fois, ce « gimmick » devient ridicule, très scolaire en fin de compte, comme si le cinéaste, pourtant loin d’être un débutant, s’autocongratulait de sa petite trouvaille de génie. Le métrage se déploie dans ce régime de fausse audace, d’épure sursignifiante où tout est appuyé jusqu’à la saturation. Le scénario, vicié dès le départ, ne laisse aucune place au trouble, à l’ambiguïté, déflagration nauséeuse de séquences volontairement abjectes et insoutenables. On comprend le projet initial, celui de filmer frontalement un homme déchu, physiquement repoussant avec ses deux cent kilos de graisses. Darren Aronofsky ne nous épargne rien, nous confrontant à notre propre dégout. Sauf qu’il se prend les pieds dans le tapis, s’octroyant la place de démiurge d’un spectacle complaisant et malhonnête. Derrière cet amas de chair et de graisse, Charlie est un être humain sensible et brillant, mais la manière d’exhiber son corps comme un monstre de foire, nous empêche souvent d’être en empathie. Filmer un homme comme une aberration de la nature n’est pas en soi un problème, sauf que dans ce cas précis, The Whale vire à son corps défendant à la grossophobie par l’insistance permanente des détails les plus indécents. En contrepartie, avec une absence totale de nuance, le cinéaste dessine un personnage sensible, cultivé et passionnant, créant une dichotomie avec son aspect physique. Il empreinte pour cela les pires ressorts du cinéma psychologique entre les non-dits pesants et les dialogues explicatifs ne laissant aucune liberté au spectateur. Le cinéaste se montre impuissant à filmer la rédemption d’un freak sans passer par le chantage émotionnel. Les quelques personnages-prétextes qui gravitent autour de Charlie ne sont que des faire-valoir sans consistances, des stéréotypes permettant au cinéaste d’arriver à ses fins.
La mise en scène est au diapason de la lourdeur du scénario, démonstrative et datée, derrière sa volonté de simplicité. A chaque plan, le réalisateur semble jubiler comme un adolescent dans la manière d’exhiber son dispositif virtuose mais tellement appliqué et visible qu’il en devient risible.
De ce désastre, les comédiens font ce qu’ils peuvent pour défendre leurs personnages au service d’une vision du monde puritaine. Évidemment, la performance du revenant Brendan Fraser, recouvert de multiples prothèses, ne peut laisser indifférente. Mais, il frise le ridicule à plusieurs moments. Comme cet instant très gênant qui résume à lui seul la bêtise du film quand sa fille lui demande de marcher jusqu’à elle sans son fauteuil roulant. Un grand moment de comique involontaire, frisant l’obscénité. Un ratage complet.
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