Ironiquement, Les Derniers Hommes illustre en soit parfaitement l’histoire qu’il raconte, celle d’un impossible exploit. En effet, sa tentative tout à la fois brave et désespérée de proposer un film de guerre assumant un certain classicisme, paraît en total décalage avec notre époque. Mis à part quelques férus d’histoire ou de film de guerre, qui aujourd’hui s’intéressera à cette histoire de Légionnaires perdus dans les brumes de la Seconde Guerre Mondiale ? La démarche n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle qu’avait eu Tavernier en 1996 avec son formidable Conan, alors éreinté par la critique. Malgré tout il fut distribué en pleine conscience, à l’encontre d’une certaine logique commerciale. Quelques années plus tard, la postérité devait replacer ce long-métrage à sa juste place, celle d’un film fort et important.
Pourtant, ce n’est pas sur les traces de Tavernier que les soldats de David Oelhoffen marchent, mais sur celles de la fameuse 317ème Section de Pierre Schoendoerffer. Un entretien (à suivre sur Cuturo) avec le cinéaste David Oelhoeffen nous permettra de revenir plus en détail sur cette filiation. Les fascinantes similitudes sur le fond et la forme de ces deux histoires ne sont pas dues au hasard. Le dénominateur commun – non des moindres – est Jacques Perrin, qui fut l’un des acteurs principaux du film de Schoendoerffer et producteur, quasiment 60 ans plus tard, des Derniers Hommes. En 1964, Perrin a du lutter pour arracher la confiance d’un cinéaste qui avait été aussi témoin du conflit. Plus d’un demi Siècle plus tard, le jeune acteur jugé freluquet est devenu un producteur passionné. Il propose ce film à Oelhoeffen dont il a vu le travail sur Loin des Hommes.
Une fois encore, quelques hommes pris dans les rets de la guerre, bien loin de la métropole, se retrouvent dans une nature plus grande qu’eux pour un voyage tragique. Les Derniers Hommes se situe une décennie avant la 317ème Section, au crépuscule de la Seconde Guerre Mondiale. Si la guerre se termine partout dans le Monde, elle va commencer pour ces Légionnaires, quasiment oubliés dans leur camp Indochinois. Isolé des autres positions françaises, voici donc une colonne de bras-cassés, qu’ils soient alcooliques, blessés ou malades, fuyant l’offensive de l’armée Japonaise. Le réalisateur retrouve là des thèmes, voire des dispositifs, qui lui sont chers. En premier lieu, c’est la question de la langue qui apparaît. Pour rappel, la Légion Étrangère est un corps d’armée qui a cela de singulier qu’il est composé de soldats venus du monde entier. Aucun des personnages n’est donc Français, mais c’est bien la langue Française, exprimée avec autant d’accents, qui, outre un engagement dans l’armée d’un pays qui n’est pas le leur, constitue un socle commun entre tous. Déjà en 2014, dans Loin des Hommes, Oelhoffen utilisait pour cadre le désert sur fond de guerre d’Algérie pour conter une amitié très forte entre deux hommes, l’un Arabe et l’autre immigré Espagnol, communiquant tantôt en arabe, tantôt dans un français qui n’est la langue maternelle d’aucun des deux protagonistes. A travers la question de la langue s’exprime une question d’identité, un regard sur la France et de ceux qui la constitue. Le réalisateur tend ce miroir kaléidoscopique à l’aide d’un casting puisant dans tous le cinéma Européen, avec notamment l’acteur polonais Andrzej Chyra ou italien Guido Caprino pour ne citer qu’eux.
De même, comme dans ses précédents films, le réalisateur s’intéresse une fois de plus à ces sentiments très puissants qui règnent dans les microcosmes masculins. Au premier abord, il pourrait être considéré que cet auteur cultive une forme d’obsession pour un sanctuaire qui serait inaccessible aux femmes. Il est certain que la figure du soldat interroge le virilisme et la masculinité. Plus particulièrement, est auscultée la façon dont ce poids, hérité en ce qui concerne l’imaginaire militaire français, des mythes de la chevalerie, détruit et étouffe. A l’heure où l’on voudrait exalter une forme d’héroïsme dans une société déboussolée, ces soldats diminués – figures chevaleresques empêchées – par les fièvres, le manque ou à qui on a retiré les armes, révèlent leurs faiblesses au contact d’une nature aussi fascinante qu’oppressante.
Dans la parabole de ce voyage dans une nature complètement inconnue, l’homme se retrouve essentialisé à travers deux archétypes forts : l’Adjudant Janiçki d’un côté, qui représenterait une part de civilisation, à travers les règles de l’Armée et le don de soi, et Lemiotte de l’autre, ne répondant qu’à ses désirs et par-dessus tout son instinct de survie. Inévitablement, par son style et son décor, les Derniers Hommes convoque de glorieux ancêtres, notamment le cinéma de guerre Américain post Viet-Nâm. Le réalisateur rappelle, comme une évidence, l’Humanisme profond dont était fait ces œuvres essentielles. Si les auteurs Américains du Nouvel Hollywood réagissait au trauma récent qui secouait leur pays, Oelhoffen réaffirme leur portée universelle comme une évidence.
Enfin Oelhoeffen s’intéresse à travers son regard sur cette jungle (et par l’empreinte certaine laissée d’un tournage dantesque, dont le réalisateur confiait toute la difficulté en présentant son film) au rapport complexe à la Nature, dans laquelle il embarque le spectateur, et donc l’interroge. Si dans le film les soldats sont guidés par un supplétif Laotien, les Européens n’ont aucune conscience de celle-ci avant d’y être confronté. Il est possible toutefois de faire un parallèle avec les romans de chevalerie lorsque qu’une dimension fantastique, née des fantasmes et des peurs primaires, est donnée à la forêt. Au final, le réalisateur en fait un personnage à part entière du film, par laquelle renaître devient possible.
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