Après son formidable The Myth Of American Sleepover, David Robert Mitchell affine ses thèmes, et utilise ses références pour échafauder un univers bien à lui, un univers d’ombre et de peau qui fait la jonction entre le meilleur cinéma de la jeunesse et l’épouvante à l’américaine la plus hypnotique. Dans The myth of americain Sleepover, Mitchell métamorphosait la jeunesse, la peur de grandir, en un espace infini plein d’étrangeté, d’incongruité, de bizarrerie parfois anxiogène. Le réel glissait insidieusement mais sûrement, le cinéaste s’interdisant cependant d’aller plus loin, préférant maintenir cette troublante frontière, entre-deux d’une sensation d’évanouissement des contours. Le moindre baiser semblait revêtir une importance considérable – comme si la vie tenait à un échange de salive. Si It Follows bascule délibérément dans le fantastique, c’est pour y traiter des mêmes obsessions, comme si l’on revenait en terrain familier, retrouvant les héros et les lieux de The Myth Of American Sleepover, mais confrontés cette fois à l’immaitrisable et l’inexplicable, au cœur d’une terreur qui exprime l’inévitable tragédie de la jeunesse. Ce passage de l’étrange au surnaturel pur opère en effet une dramatisation du concept. La disparition, la douleur guettent ; chaque seconde présage du risque du souffle de la mort derrière son cou. It follows ne s’autorise plus de légèreté. La jeunesse est un terrain miné, un gouffre. Le fantastique est une formalisation du danger. Si Mitchell rend hommage au genre, connaît les codes et les illustre, il prend garde à ne pas en reproduire les stéréotypes dans le traitement de ses personnages, qui ne se contentent pas, comme c’était souvent le cas il y a 35 ans, d’être des incarnations de valeurs et des enveloppes vides. C’est probablement là que Mitchell est le plus un cinéaste de son temps, qui fait avec l’héritage de ses pairs sans les copier, en le faisant évoluer vers la réflexion et l’intime. Quel bonheur de voir un cinéaste aimant ses personnages, les suivant dans le labyrinthe de leurs peurs.

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En inventant un élément surnaturel et monstrueux qui puise son originalité et sa force dans sa simplicité même, David Robert Mitchell  montre combien le genre est encore le lieu d’introspection et d’interrogation, de transmission symbolique des hantises intimes et contemporaines.
L’angoisse fonctionne d’autant mieux qu’elle reste dans l’interrogation et la zone d’ombre. Il y a bien une « chose » dans It Follows. Quelqu’un suit les héros, pouvant prendre la forme de n’importe qui, et qui les tuera si elle les atteint, la seule possibilité d’y échapper étant d’offrir la malédiction à quelqu’un d’autre en couchant avec. De l’anonyme au proche il n’y a qu’un pas, que l’on reconnaît à la distance qui sépare de la victime. Impalpable, normalisé, incarné en n’importe quel passant à la démarche hésitante, le danger d’It Follows en est d’autant plus tragique, mal indestructible qu’on n’éradique pas mais qu’on offre à un autre. La chose d’It Follows procèderait d’une mécanique identique à celle du parchemin de Rendez-Vous avec la peur de Tourneur, si toute la beauté paradoxale de l’échappatoire, ne tenait pas justement à cet acte que Mitchell n’identifie jamais à un acte sexuel. Il reste un moment d’amour : « j’aime et je te donne mon mal ». Si de prime abord, le sexe comme communication du mal s’apparente aux archétypes puritains du slasher de base, la symbolique de cette contamination est à rechercher ailleurs. Les héros d’It Follows ne sont pas des ados libidineux, expiant leur péchés, mais de douces personnes perdues, en pleine quête de leur psyché et découverte de leur corps, préoccupées chacun par le sort de l’autre, entre désir d’aider et désir d’aimer. Vers quelle année se déroule It Follows, avec ses ados vautrés dans le canapé, regardant des films en noir et blanc sur une télé à tube cathodique ? Le film se passe au temps d’Halloween serait-on tenté de répondre –  et l’on s’attend à rencontrer Laurie Strode en proie à son croquemitaine, au détour d’une rue –  avant que plusieurs détails ne l’infirment (le portable, la tablette coquillage…). Le cinéaste fixe It Follows dans un temps cinéphile qui questionne la mémoire visuelle du spectateur et le perd dans l’atemporel. De même, la magnifique bande son signée Disasterpeace, renvoie à la fois aux partitions de Carpenter, aux plages expérimentales de Klaus Schulze et à une électro beaucoup plus contemporaine, planante ou stridente.

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L’ironie évidente avec laquelle Mitchell exhibe (transmet ?) ses références pour mieux les digérer et s’en défaire est jubilatoire. Y sont conviés dès les premières images, parmi d’autres cinéastes, Lynch et la petite ville bien trop tranquille de Blue Velvet, ses gentils citadins et ses animaux, ou Carpenter et ses rues pavillonnaires d’Halloween soutenues par une citation sonore de quelques notes de la bo. David Robert Mitchell excelle à filmer la solitude des lieux, lignes de fuites et d’inquiétude plongeant dans la poésie de l’attente, de l’errance, du désert intime. Comme Carpenter, il emploie le cinémascope à filmer des espaces vides, intérieurs ou extérieurs, de la piscine aux rues de Detroit, identifiée ici à un passage de frontière « au-delà du centre commercial », l’axe d’interdit des parents auquel leur progéniture désobéit, enfin.

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Les adultes, d’ailleurs ne sont pas visibles – ou fixés sur des photographies – sauf lorsqu’ils apparaissent hagards et monstrueux, comme un danger, sous la forme de « suiveurs ». It follows excelle dans la capacité à traduire le tourment et le flottement juvéniles par le climat de rêve éveillé. Au delà de son terrifiant postulat fantastique, il tend le portrait sensible d’une adolescence américaine étouffée par la culpabilité et la peur, dans un pays ultra religieux qui « transmet » ses phobies et fige ses enfants dans l’épouvante.

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A propos de Olivier ROSSIGNOT

3 comments

  1. Une critique qui sublime cet objet filmique qu’est « it follows  » . Bel hommage qui autopsie et dissèque avec un Soin très chirurgical cette oeuvre métaphorique sur les tourments de l’adolescence ,avec ses doutes et ses hésitations , son insouciance , ses manques de repères …j’en ai eu la même lecture mais je l’ai restitué avec une plume bien modeste eu égard a celle que tu utilise , imbibée d’une meilleure encre ! J’ai juste oublié de souligner par contre les  » fausses pistes  » sur les notions de datage , avec cet ancrage très 80’s , ces postes télé en nb , ces vieilles mustang …et ses smart phones , comme pour apporter une touche intemporelle . Mais tu l’as très bien noté et retranscrit par contre . Bravo pour ce papier . J’étais déjà venu et je reviendrai, mais de préférence après avoir vu le film que tu chroniques . A très bientôt . Peter Hooper

  2. Matt

    encore un film encensé par la presse et qui est vraiment pas terrible !! les comédiens (mauvais) sont très mal dirigés et la fin est nulle…

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