Dans la moiteur brumeuse du Mexique, une violence endémique tue dans un silence brumeux. Telle pourrait être la phrase d’accroche de ce puissant Heroico, du jeune et fougueux David Zonana. Déjà auteur de Mano de Obra, film social montrant la grande précarité des ouvriers de chantier en proie à une violence (déjà) systémique. Cette fois, le réalisateur mexicain charge sabre au clair les collèges militaires, machines institutionnelle à broyer les enfants.
En premier lieu, ce sont des images de Scum qui remontent spontanément à l’esprit après le visionnage de ce Heroico. Ou plutôt, c’est le souvenir de spectateur d’une sensation : la nausée. Pour rappel, Scum est un drame britannique téléfilmique, devenu filmique lorsque la BBC refusa de le diffuser. Son auteur, Alan Clarke, montrait une maison de correction pour mineurs en 1979. Le film eu – dit-on – des conséquences concrètes par la suite puisque ces maisons de corrections furent interdites quelques années plus tard. A entendre Zonana présenter son film, tout porte à croire que c’est bien là son ambition. A minima, il s’agit clairement de marquer les esprits pour provoquer une réaction.
A l’instar de son illustre prédécesseur, Zonana énonce un propos politique de la manière la plus directe : pour un jeune homme d’origine indigène, le seul ascenseur social légal est l’Armée. Luis, le jeune héros de cet Heroico, est prêt à beaucoup de sacrifices pour avoir accès à la mutuelle par exemple, permettant de prendre en charge le traitement du diabète de sa mère. Avec un père absent, c’est l’adolescent qui doit endosser le rôle de l’homme, responsable de la cellule familiale (et en ce sens, le patriarcat peut être perçu aussi comme un fléau pour les hommes). Entrer dans une institution telle que cette école d’officiers n’est par conséquent pas vraiment un choix. Il s’agirait de la seule alternative légale pour parvenir à sortir de la pauvreté. Passées les premières scènes, une différence de taille apparaît : où Clarke utilisait le naturalisme et s’y tenait absolument, Zonana s’empare d’une grammaire sophistiquée pour donner une dimension sinon fantastique, au moins teinté d’étrangeté, à son film.
Par une scène d’introduction où Luis se présente au recruteur dans un plan fixe, tous les enjeux sont posés par le jeu aussi subtil que saisissant du jeune acteur, très prometteur, Santiago Sandoval Carbajal. Puis, en juxtaposant des cadres simples en intérieur, d’où il est impossible de s’échapper, et des décors empreints de gigantisme, rappelant l’architecture de quelque monument Aztèque, Zonana renvoie aux racines indigènes du jeune Luis, lequel les repousse fermement. L’adolescent s’emploie à les nier (en préférant l’Espagnol à sa langue traditionnelle ou en tournant le dos symboliquement à l’effigie du Dieu Aztèque surplombant l’école) comme il essaie de trouver sa voie dans des conflits moraux de plus en plus intenables. La maîtrise formelle du metteur en scène permet d’illustrer ce mouvement de rejet, puis la mutation qui s’opère lorsque le réel devient perméable à la folie. D’emblée, le film se construit autour du couloir central du dortoir, puisque c’est par un long traveling que sera introduit le responsable de la section. Le plan du dortoir devient alors une sorte de leitmotiv, lequel est utilisé pour définir les différents chapitres, soit une gradation entre les différentes étapes de la mutation de Luis. Aussi par ce couloir, la peur devient palpable, les fantômes s’incarnent, la mort frappe comme s’il s’agissait d’un passage vers l’au-delà.
Ce couloir est surtout hanté par l’officier en charge de ces jeunes hommes, Eugenio (incarné par Fernando Cuaulte), sorte de démon à l’allure bonhomme, au sourire magnétique. Le spectateur se rappellera peut-être du sergent instructeur dans Full Metal Jacket de Stanley Kubrick, toutefois sa perversité insidieuse marque ici une différence de taille. Après un discours glaçant, la séquence dans laquelle il se présente aux jeunes se termine par une extinction des feux laissant présager d’une violence physique inéluctable, et arbitraire. En écho à cette scène, les projections mentales, le spectre de la folie ou des morts reviendront en vision dans ce même couloir, antichambre d’un Enfer souvent hors-champ (le couloir ne laisse pas voir les douches où ont lieu les exactions, d’où proviennent les cris qui résonnent dans le dortoir).
Zonana ne cache pas sa misanthropie dans la manière dont il donne à voir un être humain – jeune et innocent – se faire détruire. Habité par son sujet comme son personnage devient habité par ses fantômes, il partage une vision très sombre dans laquelle la violence n’a pas d’alternative une fois la spirale amorcée, à l’image d’une maladie incurable que l’on contracterait en y étant exposée.
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