Cinéaste prolifique (quinze longs ou moyens-métrages réalisés en dix-sept ans), le Québécois Denis Côté reste encore assez méconnu en France hors du landernau cinéphile ; Un été comme ça est le quatrième morceau de sa filmographie à être distribué sous nos cieux, et pas nécessairement le plus simple à aborder, pas spécialement celui dont la puissance d’attraction se révélera la plus immédiate. Le film se caractérise en effet par sa raideur, par un hermétisme provoqué par la surabondance de la parole, par l’importance de la réclusion qui oblige à une mise en scène de la répétition, de la stagnation. Un été comme ça se fait volontiers cru, peu aimable, exigeant envers un spectateur qui se voit quelque peu malmené, interrogé, bousculé ; il s’agit sans conteste d’une œuvre audacieusement radicale, de celle qui laisse perplexe avant de s’infiltrer durablement et en toute clandestinité dans l’esprit de celui qui la voit. Et le film, en fin de compte, d’utiliser sa pesanteur pour aborder ce motif capital, directeur du cinéma de Côté, qu’est la profonde solitude des humains passée au révélateur de la retraite bucolique.
Que raconte ce long métrage ? Une retraite, justement. Trois jeunes femmes, Léonie, Eugénie et Geisha (Larissa Corriveau, Laure Giappiconi et Aude Mathieu) sont rassemblées dans une maison isolée par une sociologue, Octavia (Anne Ratte-Polle), qui souhaite analyser en les scrutant leur rapport à la sexualité débridée qui les animent, les obsèdent, dans laquelle elles se retrouvent avec grâce ou malaise. Elles sont chaperonnées par Sami (Samir Guesmi), homme à tout faire à la fonction indéfinie sur lequel semble cependant reposer le succès de l’expérience, tout autant domestique que surveillant ou tentateur. Ce groupe humain, gynécée contrarié par ce seul élément masculin, cohabite donc dans le même lieu clos pendant vingt-six jours engourdis (pas vingt-cinq ni vingt-sept !), dans un fil temporel lui-même distendu car indistinct (nous ne savons jamais vraiment à quel moment du séjour nous assistons), ponctuée par les diverses balades et distractions champêtres, par les séances d’analyse où les jeunes femmes peuvent exprimer leurs rêves et leurs fantasmes dans des scènes dialoguées d’une crudité qui pourrait être héritière de certains écrits de Georges Bataille et par quelques sorties aux alentours de la maison durant lesquelles les personnages peuvent reprendre le cours érotique de leur vie.
Le dispositif narratif et formel d’Un été comme ça peut s’avérer propice à observer de façon morale (donc moralisatrice du moment où l’on touche au sujet de la sexualité considérée dans tous ses possibles de liberté) les attitudes de personnages féminins, définis dans leur marginalité même du moment où les trois femmes sont placées à l’écart du monde, dans l’isolement d’une maison qui a tout de l’utopie. Denis Côté feint de tomber dans ce piège du jugement afin de mieux montrer à quel point ce dernier est finalement absurde ; son cinéma est constellé de marginalité, de personnages vivant à côté des normes sociales, d’utopies plus ou moins idéales (exemplairement le final de Ta peau si lisse [2017], duquel Un été comme ça semble être le pendant féminin, dans cette façon de considérer l’isolement comme un moyen de rompre la solitude provoquée par la normativité de la « vraie vie »), ou au contraire dangereuses et/ou terrifiantes (l’isolement comme cristallisation de la déroute amoureuse [Nos vies privées, 2007] ou propre à réveiller littéralement les fantômes du passé [Répertoire des villes disparues, 2019]). L’intérêt de son cinéma est moins de juger ses personnages que de sonder leur rapport au monde, d’observer leur potentielle introspection, ou tout au moins leur inadaptation et la souffrance qu’elle peut engendrer.
La crudité assumée du film s’exprime lors d’une série de confessions d’ordre presque bergmanien, évoquant fréquemment, de façon souterraine, les fameux monologues introspectifs de Persona (1966) : elles verbalisent moins le contenu d’esprits malades à soigner (ce que le dispositif scientifique pourrait laisser supposer au départ du film) qu’elles ne révèlent le besoin d’exister, par leur corporéité et par l’expression frontale de la relation marginale qu’elles peuvent avoir vis-à-vis de la sexualité, de jeunes femmes se sentant irrémédiablement seules. L’acte sexuel est ici un moyen d’éprouver le monde en éprouvant le corps. De ce point de vue, la scène nodale d’Un été comme ça est certainement aussi sa plus belle, point de bascule formellement épatant permettant au long métrage de glisser d’une expression de l’obsession pure vers l’étonnante sérénité à laquelle il aboutit. Elle montre Léonie lors d’une séance de bondage ; la mise en scène de Côté privilégie les gros plans sur les cordages, insiste sur les nœuds soumettant le corps de la jeune femme, sur sa peau rougie et froissée par les liens jamais trop serrés, sur les membres immobilisés ; elle pointe les détails, donne accès aux gémissements de douleur de Léonie avant de constater lors de son plan final que l’épreuve sexuelle constitue à elle seule un moyen satisfaisant d’existence dans le monde sensible. Cette séquence permet alors au film de se déplacer vers une quiétude inattendue, Côté abordant par le biais d’un moment purement physique les qualités apaisantes d’une marginalité sexuelle qui n’est finalement que l’expression d’une liberté que certains trouveront probablement dérangeante du fait qu’elle soit totale, absolue. Quand Léonie éprouve son corps, Côté éprouve les limites de celles et ceux qui regardent son film.
L’objectif d’Un été comme ça n’a cependant rien de militant ; cette oeuvre n’est finalement qu’une pièce supplémentaire dans la mosaïque filmographique très cohérente d’un cinéaste qui a pour ambition presque unique de dépeindre le monde d’à-côté, les ombres et les lumières du décalage qui portent aussi bien en elles les tristesses de l’oubli que la formidable joie d’une liberté sans frein sur laquelle il n’y aura jamais à délibérer. De ce point de vue, si le film semble cru, radical, figé, aride, Un été comme ça est aussi sans aucun doute possible le film le plus lumineux et émouvant d’un Denis Côté définitivement aventureux.
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