Avec Monkey Man, Dev Patel rejoint la cohorte d’actrices et d’acteurs souhaitant s’essayer à la mise en scène cinématographique, et ceci pas nécessairement par la porte la plus simple à ouvrir : le cinéma d’action hard boiled qui, bien qu’en vogue actuellement dans les majors hollywoodiennes, demande intrinsèquement un sens du rythme et une dextérité graphique qui, s’ils manquent, peuvent très rapidement condamner à mort n’importe quel projet du genre. On ne s’improvise pas cinéaste, mais tout nous laisse dans un premier temps à penser que l’on peut faire confiance, le néo-réalisateur sachant visiblement s’entourer, parvenant à adjoindre Jordan Peele à la production du film. Cette première tentative de réalisateur ressemble donc à une chose plutôt alléchante, Dev Patel s’avérant lui-même être plutôt sympathique, acteur correct bien qu’un peu fadasse. Ce qui se présentait donc sous les meilleurs auspices mute au fur et à mesure que le film avance en une déception cuisante, oeuvre prometteuse dans ses vingt premières minutes avant de chuter dans le commun puis dans le fond du panier d’un genre lui-même fondamentalement inégal.
« Monkey Man », c’est « The Beast ». « The Beast », c’est Bobby (Dev Patel lui-même, qui n’a peut-être jamais été aussi intéressant comme acteur que dans son propre film), jeune homme papillonant de petit boulot en petit boulot, de rapine en rapine, et combattant pour joindre les deux bouts dans des tournois de MMA clandestins lors desquels il s’anonymise en arborant un masque de singe. Bobby porte en lui la tristesse d’un traumatisme terrible : la mort de sa mère, violentée et assassinée par le commandant de la police locale, Rana (Sikandar Kher), dont il veut bien entendu se venger. Quand Rana, devenu chef de la sécurité d’un leader populiste se présentant aux élections, recroise la route de Bobby, ce dernier voit la possibilité de voir fondre sur son ennemi la némésis ainsi que de lutter contre une idéologie populiste hypocrite, faisant mine de s’intéresser aux plus démunis mais dont le système conforte la violence sociale.
Le programme du film semble d’une densité impossible : dénonciation politique d’une Inde décimée par les inégalités et les hiérarchies ô combien traditionnelles, mysticisme faisant de la vengeance une sorte d’exercice divin de la justice, noirceur poisseuse d’un inframonde où la violence et la monétisation des Hommes sont devenues la norme (idéal de brutalité néolibérale que le Monsieur Loyal des combats, interprété par l’excellent Sharlto Copley, incarne parfaitement), auxquels s’ajoute la volonté presque antonymique d’un film d’action de studio (Universal, en l’occurrence) de divertir le plus grand nombre. Pendant ses vingt belles premières minutes, Monkey Man parvient à tenir son ambitieux pari, faisant du combattant Bobby un secret bien cacheté, personnage hybridant Homme et animal tant du fait de la sauvagerie des combats déshumanisant les gladiateurs clandestins qui s’y cognent vertement et auxquels il participe que, bien entendu, de son masque simiesque.
Ce visage animal ne renvoie pas qu’à l’évidence de la brutalité animale de Bobby mais aussi au récit que lui raconte sa mère en préambule du film, peu avant qu’elle ne soit assassinée alors qu’il était encore enfant : le visage de singe qui le dissimule au monde fait également de lui le personnage principal de cette fable, et la réincarnation de son protagoniste, Hanuman, Dieu-singe dont le pouvoir s’exprime pour faire triompher le Bien face à une malveillance génératrice de colère. D’abord mal canalisée, cette rage ne peut devenir puissance que grâce à la rencontre de cette réincarnation avec une secte bienfaitrice adoratrice de Shiva, autre divinité mêlant en elle virilité et féminité, à parts égales. Ce recours à l’alliance de l’animalité et de la divinité, surlignant par ailleurs l’indianité du film, permet à Monkey Man de manger un peu à tous les râteliers, parabole mystique s’appuyant sur une vision traditionnelle, presque patrimoniale, des croyances du sous-continent indien tout autant que fiction ultra-moderne cochant de façon aussi consensuelle qu’hypocrite les cases de la fiction contemporaine post-MeToo. Nous parlerons d’hypocrisie dans le sens où le féminin, dans ce film, se résume à la victimisation (la mère qui cherche certes à se rebeller face à la violence de Rana mais qui sera dominée et tuée) ou à la prostitution (le personnage de Sita, interprétée par Sobhita Dhulipala, escort de luxe supportant sa condition peu enviable et cherchant à s’en extraire en prenant Bobby pour exemple), confortant par là même une position éminemment viriliste malgré la volonté de mettre en scène une androgynie combattive émanant de la secte de Shiva.
Une fois ce jeu de dupes élucidé, une fois tous ses éléments apparemment originaux et un peu plus profonds que la moyenne réduits au rang cosmétique qui est le leur, une fois la rugosité du démarrage ébarbée de toute la poisse et de toute la saleté qui pourraient rebuter, le film de Dev Patel enlève le masque du singe pour montrer son vrai visage : un film d’action lambda, finalement motivé par sa seule dépense énergétique, par le bruit et la fureur qui accompagnent cette dernière, par la volonté performative de ses interprètes cognant à tout-va (reconnaissons encore une fois au Dev Patel acteur un talent inattendu dans ce domaine !), par une mise en scène compulsive de la violence montrée dans toute son évidence gratuite.
Ces dernières années, cette gratuité pouvait ressembler à un tour de manège tarantinesque ou john-wickien post-moderne (Nobody [Ilya Naishuller, 2021] ; Bloody Milkshake [Navot Papushado, 2021]) ; celle de Monkey Man, film sans sourires, n’a rien d’un jeu. A quoi cette violence frontale, qui n’a rien non plus ici de théorique, peut-elle bien servir ? Réponse : à briser les icônes d’un pouvoir populiste, représenté par Rana et le gourou sanguinaire qu’il sert. Intention louable mais, là encore, à double tranchant : en disqualifiant de fait le pouvoir et les services de sécurité qui l’accompagnent, le film se fait lui-même populiste, malgré la volonté affichée de représenter à l’écran de façon réaliste voire documentée la brutalité systémique et endémique gangrénant la société indienne. En nettoyant la violence par la violence, le film de Patel ne fait rien de moins que de réactualiser la fameuse Loi du Talion, et un simplisme faisant des forces policières au mieux des crétins qu’on peut neutraliser, au pire des meurtriers quil faut éradiquer. Et c’est peut-être ce qui navre le plus : si Dev Patel s’en sort techniquement (le film est de facture très honnête), si le démarrage du long métrage laisse augurer une mouture hollywoodienne d’un certain cinéma de genre hard boiled indien, vigoureux, enthousiasmant et sans concessions, Monkey Man, par sa manière de créer son petit anti-masculinisme factice et de se reposer de façon adolescente sur un petit populisme hurlant d’une voix stridente la nocivité des élites, se rapproche de minute en minute des films chétifs et pas très futés écrits et/ou produits par Luc Besson. De l’animalité dangereuse mais réversible de « Monkey Man » à celle du personnage éponyme de Danny the Dog (Louis Leterrier, 2005), il n’y a peut-être pas plus qu’un pas.
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