Au début du 20ème siècle, le mot hillbilly apparaît pour désigner les habitants des Appalaches. C’est d’emblée un terme péjoratif : isolés géographiquement, ces montagnards qui se sont développés à l’écart des grands centres urbains, dans une méfiance envers l’Etat fédéral, sont perçus comme pauvres, consanguins et débiles. On connaît tous la puissance fantasmatique des stéréotypes sur ces populations blanches arriérées qui s’ennuient sous une chaleur de plombs auprès de vieilles bagnoles défoncées. Ce fut la matrice de toute une littérature sudiste et d’un cinéma qui s’épanouit dans les années 60 et 70, décrivant l’Amérique blanche du Deep South, fidèle aux origines et figée dans sa torpeur, aussi fascinante qu’inquiétante. Comme l’explique Maxime Lachaud dans Redneck Movies, Ruralité et Dégénérescence dans le cinéma américain, face à ces montagnards, nous sommes tels les héros de la classe moyenne du film Deliverance de Boorman, entre mépris et appréhension, dégoût et terreur. Le hillbilly, le plus célèbre et le plus bouleversant de l’histoire du cinéma n’est-il pas l’adolescent joueur de banjo du film de Boorman dont seul le talent musical soulage à nos yeux le malaise induit par son faciès de dégénéré ?
Tourné par un couple de français lillois, Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe, The Last Hillbilly s’oppose en tout point aux stéréotypes charriés jusqu’à la caricature et l’overdose par ce cinéma redneck dont le livre de Maxime Lachaud constituait justement une brillante anthologie. Brian, le héros du documentaire, qui se nomme lui-même « the last hillbilly », est parfaitement conscient de la force de ces images façonnées depuis un siècle par l’histoire, l’économie et les récits artistiques. De sa voix rocailleuse, il en résume en une phrase la généalogie : « on est passé des montagnards, fiers pionniers indépendants à des mineurs [de charbon] puis à un tas de hillbillies ignorants et au chômage ». Et lorsqu’il évoque Trump, Brian est également lucide sur la manière dont la figure du « pauvre petit blanc » qu’il incarne a été instrumentalisée par les media et les politiques pour cliver un pays, selon un combat qui ne le concerne pas. De manière fine, tant à travers les propos de son héros que par sa mise en scène épurée, quasi-clinique (ne jouant sur aucun effet de séduction) The Last Hillbilly s’offre ainsi comme un commentaire en contrepoint qui cherche à déconstruire nos représentations fantasmatiques de l’Amérique blanche et rurale. La violence des rapports sociaux, les ravages de la consommation d’alcool et d’opiacés, l’ennui sont bien sûr évoqués et présents, mais de manière anecdotique, dans un arrière-plan lugubre, fataliste et dédramatisé.
Dans The Last Hillbilly, l’homme des montagnes n’est plus ni terrorisant ni fascinant. Entre philosophie et dépression latente, il est humble et sans illusion lorsqu’il explique au coin du feu à ses jeunes enfants qu’ils sont désormais prisonniers de leur téléphone portable dont ils ne pourront plus jamais se séparer. Et il pose quelques questions essentielles qui font de ce « bouseux » du Kentucky, moins un ennemi qu’un frère en humanité : « Que faire quand ce qui te définit disparaît pour toujours ? »
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