Présent depuis plusieurs décennies dans le cinéma, la littérature, la bande dessinée et le jeu vidéo, le zombie, passé au stade de la reconnaissance, n’a plus besoin de présentations. Ainsi, quand le héros de La nuit a dévoré le monde croise ses premiers morts-vivants, il sait à qui il a affaire : il lui suffit de leur claquer la porte au nez pour rompre le contact et le spectateur n’a aucune raison d’y trouver à redire.
Si le cinéma de genre français semble enfin sortir la tête de l’eau, ce premier long métrage adapté du roman éponyme de Pit Agarmen se démarque par son point de vue. Traitant davantage des dommages collatéraux que des zombies eux-mêmes, le film de Dominique Rocher prend pour sujet la solitude de son personnage, l’instinct de survie qui l’anime et les moyens qu’il se donne pour maintenir sa condition.
Se réveillant esseulé dans un appartement surpeuplé la veille, Sam s’adapte très rapidement à son nouveau statut de survivant. Des fenêtres surplombant Paris, il prend le temps d’observer le désastre alentour avant de faire face. Cet homme sait incontestablement vivre seul et sa capacité d’adaptation lui permet rapidement de réorganiser sa vie. Entre Robinson Crusoé, Je suis une légende et La route, La nuit a dévoré le monde raconte la trajectoire d’un homme devenu unique et fait écho aux fantasmes que la situation génère : solitude, peur, surpuissance, folie…
Puisque Sam règle très rapidement les priorités (trouver des réserves de nourriture et sécuriser son habitat), les questions qui se posent à lui deviennent forcément existentielles. S’il faut tuer le temps libre, jouer au paintball « avec » les zombies, « discuter » avec un mort-vivant coincé dans l’ascenseur ou faire son jogging dans l’immeuble ne suffit pas à remplir une journée. Qu’il soit musicien, qu’il découvre une batterie dans la chambre d’un ado, qu’il se mette à improviser avec des instruments qu’il fabrique lui ouvre un espace de liberté sans limites. L’expression artistique comme antidote au chaos, voilà une belle proposition pour un film de zombies !
Dominique Rocher construit étape par étape un récit de survie qui ne cherche ni à « renouveler le genre » (expression tarte à la crème du moment), ni à faire les pieds au mur. Sa démarche, humble et rigoureuse, consiste à suivre l’évolution d’un homme confronté à une situation exceptionnelle. Isolé dans un immeuble haussmannien séparé des autres, îlot dans Paris, forteresse urbaine d’un Robinson qui se sent d’abord très fort, puis moins vaillant, puis seul au point de prendre d’énormes risques pour aller récupérer un chat, Sam n’échappe ni aux cauchemars ni aux mirages.
Élément formel essentiel, le travail sonore frappe par son traitement du silence. Si le film a failli être muet, la rareté des dialogues, l’absence des bruits de la ville, l’apaisement qui en découle créent une sensation de temps suspendu que la fluidité de la mise en scène vient en quelque-sorte soutenir. Alors que le récit s’étale sur une année, la narration traduit la progressive perte de repères de Sam avant qu’un éventuel électrochoc le remette en mouvement.
Très rapidement au centre du projet, le scénario allant peu à peu se nourrir de certaines de ses expériences personnelles, Anders Danielsen Lie habite le film avec une présence exceptionnelle. Livrant habituellement des partitions sobres et mesurées, il surprend ici par la palette de son jeu, la détermination qu’il insuffle à Sam, l’exubérance dont il fait parfois preuve. Héros plus cérébral que physique, il place pourtant son corps aux avant-postes de la lutte : ultime rempart contre l’adversité, machine de guerre capable de le sauver, celui-ci se trouve même brièvement érotisé lors d’une improbable scène évoquant Caillebotte. Si la séquence suivante rappelle, de manière fortuite ou pas, The hole de Tsai Ming-liang, il semble bien que ce soit à cette science-fiction non spectaculaire, existentielle et poétique qu’il faille associer La nuit a dévoré le monde, premier long métrage discret mais pas anodin.
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