En salle depuis mercredi, No Gazaran de Doris Buttignol et de Carole Menduni est un film coup de poing, engagé et citoyen contre l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste. Là où Gasland de John Fox (2010) laissait le spectateur américain quasi pétrifié par la prise de conscience des conséquences désastreuses de la fracturation hydraulique (eaux polluées, arsenic, uranium, benzène, chromates, micro séismes à chaque fracturation, etc.) pour les populations et l’environnement, No Gazaran emmène le spectateur français encore plus loin dans l’horreur.
Quatre ou cinq ans ont passé si vite depuis Gasland. Les auteurs et réalisateurs de No Gazaran reprennent et prolongent le discours alarmant sur la dangerosité de cette technologie censée pallier à la raréfaction du pétrole, il faut bien une justification même hypocrite ; telle une alternative « miraculeuse » parce que nous le valons bien ! Le film tout en intégrant les expériences passées/présentes aux Etats-Unis, au Canada, en Pologne propose un état des lieux quasi exhaustif de l’évolution de cette entreprise criminelle.
La citoyenne et le citoyen français pourraient ne pas se sentir concernés puisque le gouvernement interdit depuis 2011 son exploration. D’autres pays d’Europe suivent… Pourtant, au fur et à mesure que le film déploie les faits, les conséquences, les coûts, les témoignages, les actions civiles et civiques, les luttes de l’opinion… mais aussi les dénis, les mensonges, l’opacité non démocratique des procédés des gaziers, etc., le spectateur citoyen prend conscience que ce combat environnemental et de santé publique pour nos enfants ne fait que commencer.
L’enquête n’épargne rien ni personne, pas même les consommateurs énergivores que nous sommes devenus, dix secondes tout au plus! Elle insiste surtout sur la capacité quasi héroïque des citoyen(ne)s concerné(e)s, à se réunir, à vouloir comprendre ce qu’on leur cache, à s’indigner et à agir. Face à eux, des forces enragées, des collusions entre (ir)responsables, un système capitaliste accro aux hydrocarbures et au profit à court-terme… Même la novlangue des gaziers passe à la moulinette citoyenne. Ceux-ci voudraient faire croire aux habitants d’une région qu’ils ne vont plus fracturer le sous-sol mais procéder autrement… Un jeune citoyen informé leur demande avec un humour froid ce qu’ils comptent faire ? « Masser ou stimuler la roche mère » ?!
No Gazaran est un film formellement exigeant. Au regard de la somme considérable d’informations à faire passer, les réalisateurs alternent différents types de séquences permettant au spectateur de « respirer »… un peu ! Au début, de l’animation éducative de « vulgarisation » pour se rappeler (ou découvrir) en quoi consiste cette technologie, ses conséquences géologiques et environnementales… Puis des interviews de toute sorte, imbriquées et en résonance, de victimes, de citoyens, de scientifiques, d’acteurs pro ou contre, etc. Des séquences d’archives de manifestations pacifistes, de réunions publiques, de discours politiques. De beaux plans sur les sites de fracturation, sur les slogans qui couvrent les murs des villages et les barbelés de leurs champs. Des inserts textes sur fond noir « splittés » ou non avec une image. Des séquences aériennes soignées de la nature menacée, comme autant de raccords qui font sens. Le soin constant de ne pas rajouter de l’anxiété à la gravité du problème, par le choix de musiques « world », par le rythme du montage presque détendu du film… Pour mieux le servir, en tant qu’exceptionnel « porte-voix » de la sagesse.
A l’autre bout de cette sinistre chaine à détruire et à polluer irréversiblement (encore ?!)… l’argent. Depuis Londres, New York, quelques grandes compagnies, véritables empires de la sous-traitance et de la finance, cherchent par tous les moyens, y compris criminels, à imposer cette nouvelle « ressource » pour s’enrichir encore, coûte que coûte. La force d’un lobby, celui du gaz de schiste, n’a jamais atteint un tel niveau de puissance, de financement et de nuisance, pour (en vrac, liste à compléter) : désinformer, mentir, imposer, corrompre, etc.
Sans que l’histoire ne se répète, le film fait écho à la place donnée aux citoyen(ne)s des années cinquante et à celles et ceux de l’après premier choc pétrolier. Pour les premiers, le nucléaire « civil » a été imposé pour servir d’abord des objectifs militaires. Pour les seconds, en raccourci, ce fut une énième fuite en avant au nom du Progrès. Ont-ils ou elles le souvenir, le sentiment d’avoir pu choisir cette énergie, puis le « tout nucléaire » ? Alors que des accidents s’étaient déjà produits à Windscale (1957), à Saint-Laurent-des-Eaux (1969), etc. ?
Au sein du Parlement européen et des gouvernements, l’information, les délibérations autour du gaz de schiste semblent se heurter à une force cachée, une pression non démocratique poisseuse qui revient toujours. Comme si l’industrie avait irrémédiablement ôté le pouvoir aux citoyens, avec leurs propres dirigeants comme complices.
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