Ekiem Barbier, Guilhem Causse, Quentin L’helgoualc’h – « Knit’s Island »

Quelque part sur internet existe un espace de 250 km² dans lequel des individus se regroupent en communauté pour simuler une fiction survivaliste. Sous les traits d’avatars, une équipe de tournage pénètre ce lieu et entre en contact avec des joueurs. Qui sont ces habitants ? Sont-ils réellement en train de jouer ? 

Acclamé par la critique et dans les multiples festivals il est passé, Knit’s Island, premier long métrage d’Ekiem Barbier Guilhem Causse et Quentin L’helgoualc’h est pourtant passé relativement inaperçu chez nous. La faute en grande partie à une distribution limitée (seulement une dizaine de salles en France) pour ce véritable petit miracle de cinéma, au dispositif révolutionnaire, qui allie dimension intime des documentaires, immersion des jeux vidéo et puissance évocatrice de la fiction.

Critique : Knit's Island - Le Polyester

Si le Machinima, genre  consistant à réaliser des œuvres cinématographiques, à partir des moteurs 3D des jeux vidéo, existe quasiment depuis une trentaine dannées, Il navait cependant jamais réussi à se frayer un chemin vers les salles de cinéma. Bien sûr il aura connu son heure de gloire avec de multiples courts et moyens métrages expérimentaux, à lorée des années 2000 et certains cinéastes de renom l’avaient utilisé avec parcimonie comme Chris Marker à l’occasion d’une exposition virtuelle ou dans une moindre mesure John Hillcoat pour son excellent The Man from blackwater tourné avec les images du célèbre jeu Red Dead Redemption. Mais aucun film n’avait tenté de reproduire ce concept sur un format long, jusqu’à Knit’s Island, L’île sans fin De Ekiem Barbier Guilhem Cause et Quentin L’Hegoulac’h. Un premier film, faisant le pari fou de se dérouler intégralement (ou presque), à l’intérieur du jeu vidéo post-apocalyptique Dayz, qui date de 2013.

Le processus narratif est simple: Partir pendant 1h30, muni d’avatars rencontrer les joueurs et les joueuses de Dayz, afin de les interroger sur leurs rapports à ce monde virtuel. Le fait de mélanger Machinima et documentaire, avait déjà été mis en place sur Marlowe Drive, leur moyen métrage réalisé en 2018, se déroulant à lintérieur de Grand Theft Auto 5 et qui faisait office de véritable laboratoire pour Knit’s Island. Mais reproduire ce schéma sur un format long, était éminemment plus difficile et aurait pu accoucher d’un exercice de style aussi vain qu’indigeste. Fort heureusement, il n’en est rien tant ce défi risqué est relevé avec brio par ses auteurs et s’impose comme une des plus belles surprises de ce début d’année. Troquant les palmiers et lasphalte de Los Santos (déclinaison vidéoludique de Los Angeles se déroule GTA 5 et donc Marlowe Drive) pour une République Tchèque post apocalyptique fictive, Knit’s Island est un ovni poétique et inclassable, dune audace technique et narrative folle la mise en scène varie constamment en fonction des joueurs quelle rencontre. Profitant des possibilités infinies quoffre ce terrain de jeu gigantesque, les cinéastes filment les arcanes de ce monde vidéo-ludique, comme un véritable décor de cinéma. Adoptant en premier lieu un style naturaliste proche de Gus Van Sant et de Terrence Malick, avec une imagerie renvoyant inévitablement à Gerry ou La Balade Sauvage à travers de longs plans contemplatifs sur la nature, Knit’s Island prendra par la suite et de façon furtive des airs de film de genre post apocalyptique, avant de finalement dériver dans sa dernière partie centrée sur un révérend et ses apôtres, vers une approche intimiste, mystique et expérimentale visitées par les ombres de Bresson, Weerasethakul et Tarkovski.

Knit's Island

Le surplus de références et son ambition auraient pu noyer le film mais la mise en scène évite subtilement tout les écueils du maniérisme  et assume le poids de son héritage sans jamais le singer. Œuvre hybride entre septième et dixième art, fiction et documentaire, classicisme et modernité, Knit’s Island invente un nouveau langage à la croisé des chemins entre cinéma, réel, et jeux vidéo. Seul l’avenir nous dira si il réussira sur le long terme à ouvrir une brèche pour le cinéma de demain ; une chose est sûre, il y’avait bien longtemps qu’un film français n’avait pas suscité un tel vertige.

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A propos de Aïssa Deghilage

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