Le film s’ouvre sur une voix, celle de Éléonore (Saintagnan, actrice et réalisatrice) qui narre sa mésaventure mécanique en plein cœur du Morbihan, sa Peugeot fume, un sale coup du joint de culasse ; elle qui souhaitait rejoindre le littoral se voit piégée dans les terres bretonnes. Et c’est tout d’abord l’intonation de Sophie Letourneur qui résonne dans celle d’Éléonore, indolente et fataliste face à l’inéluctable d’une panne briseuse de destinée, cette voix (-off) qui servira d’ancrage réaliste face au jaillissement mystique du déroulé du film. De Letourneur, l’on bascule chez Bruno Dumont avec des (vrais) garagistes jouant les acteurs amateurs d’une diction forcée et maladroite, une incarnation de la ruralité et sa vision citadine faussement condescendante. Car il y a de l’amour dans cette caméra, dans chacun des plans qui vont tour à tour se poser sur une galerie d’hétéroclites personnages soudainement attachants. Et de ce croisement soudain Letourneur-Dumont surgit le mysticisme, le conte et sa magie de l’incarnation. Là aussi dans un style très Dumont, costumes de foire et approximations chronologiques, se met en scène la légende religieuse de St Corentin, son amitié avec un poisson dont il multipliera sa chair avant de le relâcher dans les eaux tumultueuses d’une rivière, faisant naitre ainsi le mythe de son existence, et la légende du « monstre du lac ». Éléonore se retrouve planter dans ce camping du lac à guetter des signes de son apparition, le temps court, elle qui ne cesse de le repousser (en procrastinant son départ) pour enfin le prendre ce temps, et admirer le fantastique dans le normatif, l’ordinaire dans l’extraordinaire : les bruits des oiseaux semblent jaillir d’une dimension parallèle, les habitants à l’année du camping d’une planète lointaine, la végétation et cette micro-cité humaine sous le microscope d’Eléonore transfigurée en documentariste de l’étrange. Là est toute la magie de cette mise en scène candide, s’abreuver de la douce et transgressive normalité en éloge de la simplicité, une ode naturaliste à l’amour du rien, la caméra/œil de Éléonore sait idéalement se poser là où notre regard se détourne, là où l’anecdotique prend forme de grandeur : un red-neck et sa guitare sèche qui parle tout seul, une femme trans et son petit garçon de 8 ans qui chasse les poules, une femme seule qui enlace un arbre, …Et de cette galerie dysmorphique naît l’unitaire, un ensemble de beau bizarre, d’étrangeté normative, les voisins deviennent des amis, les amis une famille soudée. Soudée dans la marge, dans cet à côté aveugle, invisible, que Saintagnan magnifie d’histoires et de contes de quotidienneté. En ce sens, le film nous renvoie à Jackie Caillou de Lucas Delangle, petite merveille passée par l’ACID Cannes il y a 2 ans avec en point de jonction le mysticisme rural mais chez Delangle, à travers le reboutage.

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Au lieu de se complaire dans cette déjà très réussie galerie de portraits, Saintagnan décide d’y glisser avec conviction politique un furieux message anti-capitaliste et écologique qui contre-balance avec l’apparente douceur acidulée de ce camping paisible. Qui ne va d’ailleurs plus l’être avec l’arrivée tambour battant de la rumeur du miracle, du syndrome de Lourdes, l’eau du lac serait sacrée! Voilà que le camping en devient « trendy », la masse (et cette très belle scène de danse bretonne collective) s’y invite, espère le miracle, des camions citernes tirent même des hectolitres de l’eau sacrée pour de la revente au marché noir. Conséquence directe de cette libéralisation de l’eau et privatisation du droit commun, l’assèchement. Le lac se vidant peu à peu de son contenu pour ne laisser qu’une masse boueuse et toxique le tapisser. Saintagnan invective alors notre bon sens, celui bien souvent ignoré, enfoui dans nos comptes d’apothicaires égoïstes : que faisons-nous de notre Terre ? De notre bon sens « terrien », celui qui nous rattache à la sève du sol qui nous héberge ? Nous les assécheurs, les idiots qui attendons éternellement le miracle de la salvation, bras croisés à acheter des goodies attrape-nigauds et espérer le miracle. Quelle merveilleuse conclusion que d’invoquer Marco Ferreri, la bête qui git au fond du lac asséché, c’est la baleine échouée de « La Semence de l’homme » (1969). Saintagnan est-elle Cino (l’optimiste) ou Dora (la fataliste) ? Elle a tranché pour l’espoir vain, un nihilisme abrupt qui offre un point final et dramatique à ce camping du lac : celui d’une terre d’adieux et de fin des temps, des hommes en communion avec le dépérissement de la nature.

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De ce croisement entre Letourneur et Dumont, « Camping du lac » et son mysticisme rural envoûte et dépasse son apparente quiétude dans une lecture féroce anti-capitaliste, une ode à l’extraordinaire dans sa contemplation de l’ordinaire, un premier long-métrage bourré de promesses et de virtuosité. A suivre de très près.

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