Pour son premier long-métrage, Émérance Dubas donne la parole à cinq femmes placées, durant leur adolescence, en maison de correction, levant le voile sur l’enfer de ces institutions…
Édith, Michèle, Éveline, Fabienne et Marie-Christine témoignent de leur expérience – forte de mauvais traitements, d’humiliations en tous genres, de privation affective, d’enfermement et de séquelles psychologiques et sociales irrémédiables… accumulée lors de leur placement au « Bon Pasteur », maison de correction (active de 1829 jusque dans les années 1970) réservée aux jeunes filles abandonnées, aux « mauvaises filles », aux « filles mères » et autres filles dites « perdues »…
Saisissant dès ses premières minutes – où la voix-off de l’une de ces « rescapées » (Édith) guide le spectateur tandis que la caméra explore les ruines d’un ancien institut du Bon-Pasteur avant que ne commence un entretien face-caméra avec une autre de ces cinq femmes – Mauvaises filles marque en premier lieu par sa grande pudeur : à l’exception d’Édith (qui n’apparait pas à l’écran mais dont la voix revient plusieurs fois au cours du film afin de partager ses souvenirs) les protagonistes sont en effet filmées avec un respect évident, la caméra semblant se poser comme une confidente à laquelle elles accordent une confiance totale, certaines parlant alors pour la toute première fois de leurs traumatismes.
L’autre élément frappant – révélé par ces confidences – vient de la force exceptionnelle émanant des protagonistes : chacune d’elles se révèle en effet, tout au long du film, d’un aplomb extraordinaire, soulignant aussi bien par ses propos que par son attitude, à quel point la seule chose leur ayant permis, une fois relâchées et livrées à elles-mêmes, de surmonter leurs traumatismes, était leur propre force intérieure…
Ce constat parfois implicite donne notamment lieu à des scènes profondément touchantes où plusieurs de ces femmes reconnaissent avoir frôlé la mort, commis des erreurs parfois très graves dans leur vie ou encore n’avoir pas su aimer pleinement à cause de leurs traumatismes, ainsi qu’une autre où l’une de ces anciennes « mauvaises filles » (Michèle) partage son expérience avec sa fille et ses petites-filles dans un geste de transmission hautement symbolique…
La réussite du long-métrage tient donc essentiellement à la grande intimité de son atmosphère, le film ne changeant de direction que pour les scènes montrant l’institut abandonné : à la clarté du jour très présente dans les entretiens succède alors une ambiance froide et anxiogène, comme si la caméra tentait de sonder les murs délabrés afin d’en faire ressurgir les fantômes.
Mauvaise Filles s’impose ainsi comme un superbe plaidoyer sur le devoir de mémoire, rendu possible par la prise de parole et la transmission du savoir.
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