Le mignon, l’inactif, l’obsolète rendu immobile et inoffensif par le temps peut être une eau qui dort dont il faut instamment se méfier ; le cinéma de divertissement américain nous l’a bien dit depuis les années 80, entre le gentil Mogwai se transformant en démultiplications de féroces Gremlins dans le film du même nom (Joe Dante, 1984), les jouets de guerre prenant leur autonomie et transformant une chambre d’enfant en champ de bataille (Small Soldiers, toujours réalisé par cet infernal enfant terroriste Joe Dante, 1998) et les personnages historiques, figurines ou autres squelettes de dinosaures prenant nuitamment vie dans la saga La Nuit au musée (Shawn Levy, 2006-2022). Five Nights at Freddy’s d’Emma Tammi, réalisatrice de l’écurie Blumhouse (qui produit ce film) depuis sa participation à la série anthologique Into The Dark (2018-2021), surfe sur cette nostalgie ; il en fait même son arc narratif principal, l’action se déroulant dans un ancien diner-salle de jeux pour enfants désaffecté, lieu jadis très prisé et présentement laissé à l’abandon. Le film, apparemment situé dans un sorte de trou spatio-temporel (résurrection des eighties en ruines symbolisée par un lieu vide et improbable qu’il faudrait soigner et protéger des intrusions et autres vandalismes), mettant en scène des robots-peluches auparavant indices de vitalité d’un entertainment plein de vigueur mais devenus sur les affiches des machines sombres à l’oeil chargé de menace, portait sur le papier tous les signes de l’accident industriel. C’était sans compter sur le talent conjoint d’Emma Tammi et des équipes de Blumhouse, qui contournent tous les pièges de ce terrain miné en prenant le récit avec le plus grand sérieux, sans chercher le ricanement, sans miser sur le potentiel ridicule de l’entreprise. Bref, en soustrayant le moindre second degré de cette tentative d’adaptation d’une série vidéoludique.
Le film s’ouvre sur l’histoire de Mike (Josh Hutcherson), jeune homme tourmenté depuis l’enfance. Précisément depuis le jour où il a vu son petit frère se faire enlever par un inconnu lors d’un pique-nique en forêt. Depuis le jour où, de nuit en nuit, il essaie de replonger dans son Inconscient pour voir s’il pourrait retrouver le ravisseur qui a dévasté sa vie. Devenu adulte, il marche sur les cendres pourtant encore brûlantes de sa mémoire, pauvre hère au bord de l’explosion, incapable de conserver durablement un emploi qui pourrait lui permettre de joindre les deux bouts et de s’occuper correctement de sa jeune sœur d’une dizaine d’années, Abby (Piper Rubio). Sa dernière chance se situe dans cette offre qui lui est faite de surveiller le fameux diner dont nous parlons plus haut, « Freddy’s », fermé suite à une enquête sur d’inquiétantes disparitions d’enfants qui ont en leur temps fait les choux gras de la presse. Et si Mike n’était pas là par hasard ? Et si les fameux robots-peluches aux airs inquiétants avaient quelque chose à voir avec lui ? L’attitude de la jeune policière du comté, Vanessa (Elizabeth Lail), à la fois visiteuse assidue du lieu lorsqu’elle était enfant et terriblement méfiante à son endroit une fois devenue adulte, ne semble pas présager d’une suite heureuse…
Les années 80 semblent donc être un point d’ancrage majeur de Five Nights at Freddy’s, entre une intrigue visant à réveiller le lieu aussi endormi que négativement chargé donnant son nom au titre et une flopée de références importantes de l’horreur vintage, du monde des cauchemars influant sur le réel évoquant bien entendu Les Griffes de la nuit de Wes Craven réalisé en 1984 (le diner s’appelle-t-il d’ailleurs innocemment Freddy’s ?) à la disparition séminale du frère vampirisant la vie de l’aîné littéralement à la recherche du Mal invoquant le Ça de Stephen King (1986) et ses futures excroissances filmiques. Référentialité n’est pas nostalgie, cependant : le recours aux précédents n’a pas ici vocation à réjouir les spectateurs en manque de leur propre passé mais à considérer la temporalité comme une sorte de fil ininterrompu, le passé s’instillant nécessairement dans le présent, que ce soit négativement (la quête obsessionnelle de Jake) ou plus positivement (l’historicité cinéphile dont se nourrissent Emma Tammi et, plus généralement, les productions Blumhouse).
L’horreur de Five Nights at Freddy’s réside entièrement dans le traumatisme, dans ce passé perpétuellement remis sur le plan de travail par le personnage de Mike, et dont le lieu qu’il garde nuitamment, caveau d’un passé violent qui refuse de se voir révolu, est le point nodal. Les explosions de violence et de barbarie n’apparaissent que comme le résultat d’une violence antérieure, moins gore et carnassière mais non moins blessante et assassine. Le film d’Emma Tammi brode en effet toute sa puissance d’effroi autour des blessures enfantines, entre maltraitances physiques, enlèvements, tortures probables et maux psychologiques à la cicatrisation impossible. Les robots-peluches apparemment tout mignons et dévoilant très vite leur pouvoir néfaste et meurtrier ne font que concrétiser ce mal sourd. Cette thématique de l’enfance blessée mène les meilleures œuvres récentes des productions Blumhouse ; qu’est-ce en effet que Five Nights at Freddy’s sinon un double incongru, inattendu au regard des ingrédients qui le composent, du Black Phone de Scott Derrickson (2021), autre excellent film qui faisait de son kidnappeur tueur d’enfants une allégorie du Mal assaillie par les âmes de ses victimes ? Ou quand l’horreur se fait justicière sans pour autant tomber dans les pièges nauséabonds de l’autodéfense.
Moins fondamentalement réussi que le film de Derrickson, beaucoup plus attendu sur l’importance de la relation familiale comme garantie de succès face au Mal, n’assumant pas sa pourtant profonde noirceur jusqu’au bout du récit, le long métrage d’Emma Tammi reste néanmoins une belle surprise, refusant le cinéma de fête foraine vite éventé à l’avantage d’un cinéma d’horreur psychologique envahi par le venin du Mal, du chagrin et des ombres qui nous suivent où qu’on veuille aller. Film hanté, en somme.
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