Avec L’art d’aimer, film concept qui marivaudait autour de son propre cinéma, Emmanuel Mouret avait déjà remisé son autre lui-même en retrait, observant les chapitres se remplir d’amertume derrière leurs maximes pusillanimes. Le mâle semblait préservé des crises, emporté par un désir sauvage et salvateur qui trouvait à s’exprimer pleinement dans le hors champ. Et puis, comme une autre vie, un détour impromptu par le drame… Alors, ce qui nous tracassait advint. Quelque chose de plus reste désormais coincé en travers de la gorge d’Emmanuel Mouret, empêchant son visage de s’allonger à l’infini façon Jim Carrey. Qu’on se rassure, son Clément n’évite pas tout à fait les saillies burlesques et reste -pour toujours !- pris d’assaut par les filles entreprenantes, sensibles à sa légendaire timidité, son regard doux et son squelette replié sur lui même, à peine sclérosé. Mais c’est maintenant un personnage plus mâture, un père et un éducateur, conscient de ses défauts et préoccupé par leur résurgence inopinée dans l’univers très policé de sa future conjointe people.
Caprice est mu par la logique du tremblement, mais aussi gagné peu à peu par la mélancolie. Dans le joli prologue du film, Clément, un livre à la main, tente de détourner en vain son gamin de la lecture. Le père angoissé, si sensible à la prose et à la poésie, doit encore apprendre à résister à l’enchantement du langage. Car dans la bouche des comédiennes et éparpillés sur la scène d’un théâtre, leurs mots seront éternellement ses maux. Clément émeut d’abord par cette perméabilité au sacré du verbe, à la frontalité du jeu, seules capables de chambouler aujourd’hui son existence. Mais Mouret oublie cette fois sa petite musique, si juste, si précise, pour se mettre au diapason de son époque et flirter avec le fantasme perturbateur du trouple. Son personnage n’est pas seulement confronté à deux sortes de femmes voraces, mais aussi à d’autres approches sentimentales, comme l’auteur-réalisateur-interprète à d’autres tons comiques, et cette fois à de nouvelles valeurs plus embarrassantes, de part et d’autre d’une fracture sociale qui scinde le monde des artistes en intermittents et ceux qui ne le sont pas.
La reconduction de Laurent Stocker, ici dans un personnage pas si éloigné de son duo avec Cédric Kahn chez Axelle Ropert, complexifie le maillage des scènes autant qu’il nous éloigne du centre de gravité du film, la gestuelle déséquilibrée d’Emmanuel Mouret-acteur. Déjà le remplacement de Frédérique Bel ( l’actrice fétiche du cinéaste à qui il a offert Changement d’adresse ) par Virginie Effira, brûle comme une estafilade en plein cœur. Même si Mouret parvient à l’employer au delà de toute espérance, en bourgeoise accessible et diva de vaudeville. Son Alicia donne le change au personnage en titre, finalement antagoniste, Caprice. Et c’est avec un peu d’anxiété que Mouret agite sa comédienne débutante sur texte pseudo avant-gardiste pour MJC de troisième zone, pour troubler l’image glacée de la star confirmée, établie, divinisée. Il y a là une ironie touchante de la part du metteur en scène, esclave lucide de sa passion pour les actrices, qui rejaillit par un cadeau décalé, dégoté par Clément et comme rescapé de la première époque de Mouret ( voir son culte du cor dans Changement d’adresse ), un improbable objet africain de forme phallique mais surtout de taille conséquente. D’aucuns, peines à jouir, trouveront que Mouret bande son Art en Cupidon replet dans la formule à succès…
Jusque là, dans son univers douillet, la méchanceté n’était que fortuite. La cruauté émanait des scènes et situations de la vie courante. Mais après la guerre des sexes, chacun finissait par accorder son violon ou décharger son solo. L’impuissance de Clément à contenir la tornade Caprice, débouche sur le drame et un regret coupable où macère sa dose d’aigreur. La jeune femme est un élément hétérogène plaqué sur les costumes et les intérieurs de prix, pimpants mais sans âmes, avant que lui même n’éclate monstrueusement dans son foutoir à elle. Après s’être affichée en public avec l’homme-objet de son désir, s’être déclarée à sa rivale, mais en mode complice cher à Mouret, Caprice l’épingle, transformant son mur en tableau de chasse. C’est beaucoup plus qu’une simple lubie… Car Caprice est l’emmerdeuse pathologique. On soupçonnerait même l’auteur de tentative d’homicide, si l’écriture ne revenait in fine la secourir, quand Clément la vampirise à son tour, acceptant enfin, à titre posthume, le mensonge comme solution. Mais de ses deux muses, elle garde la plus belle part, ce doux délire qui vient bousculer le texte peu inspiré de Clément-auteur, endormi derrière son titre confortable. Caprice pétille ( Anaïs Demoustier, toujours redoutable dans ce registre ) quand Alicia se contente juste d’apparaître et de couler des regards de chatte repue, ceux d’une déesse descendue se réchauffer au contact d’un mortel, vers une existence plus humaine. Les clichés sont retournés comme une paire de gants, la star hystérique cédant le pas à la débutante prête à tout. Mankiewicz s’est absenté… Un Adam ramolli contemple perplexe ses Eve, la BCBG et la cinglée.
Fidèle à la voie du non-achèvement qu’il semble s’être tracé, Emmanuel Mouret sacrifie les « entrées des artistes » à la grand-porte sentimentale : le Clément pédagogue, pataugeant dans une scène qui évoque fortement un certain Benigni dans Pipicacadodo, le théâtre et sa galerie à peine esquissée, ses courtisans et son jeune auteur maudit, qui n’en témoigne pas moins d’une humanité qui l’élève au delà du stéréotype du loser que son allure nous promettait. Et ses dirigeants (d’école, de théâtre, à l’image de ces vieux chevaliers servants à fines moustaches sur les portraits républicains post Jules Ferry), si friables derrière leurs petites trahisons mais qui finissent toujours par regagner le droit chemin la queue entre les jambes. Moins pertinent, l’auteur s’embourbe en institutionnalisant le décalage, lorsque Clément entreprend de théoriser une absence au monde congénitale, en la verbalisant. Alors qu’une course effrénée dans un escalier ou une chorégraphie accidentée, mi slapstick-mi Tati, où on assiste médusé à ses ébats de dervish autour d’un plâtre, une paire de béquilles et un sac de courses entrant dans la balance, illustre si bien ce que l’on avait déjà remarqué au premier coup d’oeil, dès son premier film. Ce phénomène de dissociation inquiète, d’autant qu’il a aussi convoqué la musique automnale, et cette fois impersonnelle, qui nappe le tout de ritournelles alléniennes ou emprunte à Valérie Donzelli les mouvements asynchrones du couple déréglé. C’est un Mouret en crise qui se rappelle à notre souvenir le temps de séries de hoquets ou de francs éclats mais qui se tient entier, tout neuf, dans la flamme frileuse d’un briquet, qui vivote là où brûlait le feu sacré. Un génie comique influençable, plus attentif aux frôlements impossibles des corps sur l’hyperbole, retenus par cette stratégie d’évitement. D’où une baisse attendue des frictions comiques, qui agissent en décharges électriques mesurées.
Adulte trop rangé, Clément barbote en eaux troubles dans son aquarium, son désir prenant la forme vaporeuse d’une méduse remontant vers la surface. Ses couples successifs ne sont que l’ombre d’eux-mêmes et quand l’épilogue fait l’élégie de Caprice, le spectre d’un amour réel mais encore non consommé, s’étale lumineux sous son regard de cocker. Caprice n’a pas l’énergie grinçante si libératrice des parents immatures d’un John Hughes mutant dans She’s having a baby mais les rondeurs et la peau flapie d’un délassement bourgeois qui semble terroriser Emmanuel Mouret, étouffé par cet emphysème. Point de sympathicotonie, nous restons polarisés d’un soupir à l’autre par une onde de rire dispersive.
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Diogène
Vous n’avez rien de mieux à faire que de laisser des commentaires aussi pitoyables en 3 mots ?
Pierre Audebert
AuthorMerci ! Je vais passer pour un jouisseur…
mallaret b.
quelle masturbation intellectuelle !
Pierre Audebert
AuthorLe cinéma de Mouret n’est jamais simple! Alors que son dernier film puisse se résumer en trois mots me fait sourire. J’ai d’ailleurs remarqué que ses vieux films se bonifient en les revoyant (surtout Changement d’adresse vu 4 ou 5 fois). Il faut donc se familiariser avec son personnage avant d’être introduit dans son univers. Après on peut relativiser sur son échelle de valeurs…Après ça dépend bien sur de la sensibilité de chacun au burlesque qui passe chez lui par le contrôle plus ou moins réussi de son corps et sa relation aux objets.
Piero
de la daube !