Les réflexions sur l’enfance et la malice qui peut se loger en elle sont légion dans le cinéma, en particulier fantastique et d’horreur. Pour son deuxième long-métrage après le beau Blind, le norvégien Eskil Vogt, fidèle collaborateur scénaristique de Joachim Trier vient confirmer après avoir scruté les vertiges de l’adolescence dans son magnifique Thelma vient confirmer sa fascination pour la jeunesse, et sa propension à en parler par la métaphore fantastique. Autre point commun avec Thelma, il emprunte d’emblée un chemin de traverse : The Innocents sera très naturaliste, ancré dans le quotidien, versant ainsi plus dans le drame intimiste que le surnaturel, en dépit des capacités, hors norme mais discrètes, de ses jeunes héros. C’est l’été et quatre enfants se rencontrent car ils sont les seuls de leur cité HLM à ne pas être partis en vacances. Sur l’aire de jeu et dans la cage d’escalier, quatre singularités s’unissent. Ida et sa grande sœur Anna, autiste, viennent d’emménager suite au changement de travail de leur père, tandis que Aisha et Ben vivent chacun seul avec leur maman.
Eskil Vogt prend son temps pour installer son ambiance, ses personnages, dans ce décor à la fois austère et proche de la nature, baigné de soleil, si calme en cette période très creuse de grandes vacances. Le film adopte le point de vue des enfants, et en particulier celui d’Ida, qui explore son environnement, tout en veillant sur sa grande sœur et se posant beaucoup de questions sur ce qu’elle voit, ressent et ce dont elle est témoin. Les parents, les adultes, ne sont ni parfaits ni absents, ils sont juste à leur place, dans un autre monde que celui des enfants, qui pendant cette parenthèse vont découvrir et expérimenter par eux-mêmes.
Graduellement le réalisateur instaure le trouble, en mêlant les jeux et la cruauté, et la tension ira grandissante, avec comme catalyseur le personnage de Ben, rapidement présenté comme plus sombre. Alors que peu de temps avant le rire d’Ida inondait la scène dans laquelle Ben lui montrait comment il parvenait à modifier la trajectoire d’un objet en l’air, et qu’elle le suivait en courant pour faire chuter un chat du sommet de la cage d’escalier, c’est ensuite l’incompréhension qui emplit ses yeux lorsque Ben achève l’animal mal en point en lui brisant la nuque d’un coup de pied.
Dans un mouvement parallèle, le pouvoir d’Aisha, capable d’entendre Anna alors que celle-ci ne parle pas et n’émet que des sons, resserrera les liens entre la jeune autiste et son environnement et ses proches, tandis que celui de Ben, jeune garçon en souffrance, questionnera d’abord la notion du « ce n’est qu’un jeu » et la frontière entre un jeu innocent et une réelle volonté de faire mal, avant de devenir clairement dangereux, dans une dynamique de vengeance et une volonté d’entrainer les autres dans sa souffrance. Ida en sera le témoin d’abord silencieux, car incertaine de la nature de ce qu’elle observe, puis active, au fil du renforcement de sa position morale.
La teneur plutôt contemplative du film, l’étirement de certaines scènes, notamment lorsque l’attention est portée sur Anna et son monde intérieur, le montage alterné entre les deux axes du film, mettent en exergue ces moments de tension de plus en plus intenses et rapprochés, jusqu’à un climax prenant. L’utilisation du flou et de nappes sonores persistantes contribue quant à elle à faire sourdre un danger qui peut se loger partout, dans le moindre geste, la moindre intention.
Réussissant un peu là où Chronicle de Josh Trank (avec lequel il possède des affinités assez évidentes) échouait dans sa lourdeur, The Innocents gagne en ampleur et en profondeur dans la durée et questionne à la juste distance, naviguant entre la chronique enfantine et le thriller psychologique, en passant par le drame surnaturel. Une réussite.
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