Mercredi c’est tsunami (ixième opus des Visiteurs), va falloir penser à se mettre aux abris ! En attendant que cela se passe, rien de mieux qu’un film inattendu, le premier à traiter de ce sujet trois ans après, le « mariage pédé » comme certains l’ont appelé à l’époque…
On se méfie à juste titre de ce que recouvre le terme « docu-fiction » (mot valise en carton !). Le plus souvent, ces documentaires cachent à peine leurs faiblesses affligeantes. Légionnaire romain, Pharaon, Emile Louis, JFK, NKM (non pas encore !), sur fond numérique avec commentateur commentant – beau comme un cd-rom (le Pharaon, hein !) – reconstitutions voyeuristes de tableaux « scoptophiles » de banalités, etc. Nommer La Sociologue et l’Ourson serait l’enfermer. Car s’il appartient à ce genre, c’est pour le renouveler avec une énergie, une finesse et un style uniques.
Le film d’Etienne Chaillou et Mathias Thèry est pour un gourmand tel un mille feuilles parfait : équilibré et fin, ferme et léger, frais et sans glaçage… Avec pour prétexte historique, l’année mouvementée (Juillet 2012- Mai 2013) qui a précédé la promulgation du mariage pour tous, La Sociologue et l’Ourson nous embarque pour une histoire du mariage, du couple, de ses enfants, de la filiation, de l’adoption, etc. de la famille donc, avec son grand F et ses symboliques mouvantes, sans didactisme aucun.
La Sociologue et l’Ourson raconte aussi avec pudeur, l’histoire intime de quatre générations de femmes. Où les enjeux du mariage ont bien changé, qu’ils soient religieux, sociaux, affectifs. Ces histoires émouvantes sont celles des aïeules d’Irène Thèry, sociologue, directrice d’études (à l’école des Hautes Etudes en Sciences Sociales), spécialiste en sociologie du droit de la famille, de la vie privée et des rapports de genre.
Et accessoirement pour le film, Irène Thèry y joue son propre rôle et – ce qui suit est important – sans le savoir ! Celui d’une femme exceptionnelle d’intelligence, de modernité, de ténacité et de tolérance, dépourvue de peurs. C’est déjà beaucoup même si la liste n’est pas exhaustive. Une oursonne en quelque sorte, bienveillante et généreuse (de sens), dotée d’une voix fascinante (pas une voix off, attention !) qui captive d’emblée. Mathias Thèry, son fils, lui rend un hommage mérité sans aucune mièvrerie, toujours drôle, décalé mais tout en finesse. Les quelques séquences où Madame Théry accepte de se montrer au naturel, à « son Mathias » (ourson comme nous ?!), sont d’une extrême simplicité et élégantes. Cette dame est décidément passionnante, en plus d’être belle.
La Sociologue et l’Ourson, derrière une légèreté apparente que laisse présager sa bande annonce, propose un dispositif très élaboré pour raconter son histoire (à la fois grande et petite). Et miracle, le spectateur y entre avec curiosité et facilité.
La forme pourrait a priori refroidir les « grands » que nous sommes devenus, pourtant le choix de l’animation est un coup de génie créatif. Les « puppets », leurs décors, leurs accessoires, etc. sont le résultat d’un travail créatif de documentaristes doux dingues, à la fois fantasques et justes (un bijou pour ceux qui aiment les marionnettes). L’animation ne fût pas un choix esthétique selon les réalisateurs, mais la meilleure voie possible pour que la « mécanique » du film marche. Une réussite narrative absolue. Si elle est « kinda cute » pour les afficionados (bravo aux créateurs, décorateurs, constructeurs, animateurs des marionnettes…), l’anim se laisse aussi apprivoiser et presque oublier, comme un organe de plus au film. Les archives TV sont rares, choisies pour leur banalité, c’est agréable et notable pour ces deux raisons.
Les prises de vue réelles (du réel), donnent à voir des faits. Pas étonnant qu’elles aient été réalisées par Etienne Chaillou et Mathias Thèry, maîtres à bord de leur film homogène (ils signent aussi le montage et le son). Promenades sous les ors de la République, de l’Elysées à l’Assemblée, jusqu’aux portes qui se ferment ; reportages des manifs « anti et pro » mariage pour tous, deux styles différents assurément.
Jusqu’aux évènements paroxystiques par leur violence, des antis (dès Mars 2013), pour la dernière ligne droite à gauche toute ! Là, ça ne rigolait plus du tout, à Paris en province, dans le métro, les bars LGTB, les rues la nuit, dans certaines familles, sur les réseaux sociaux, etc. Le film avec justesse le rappelle, tel un climax. Des scènes dignes d’un film comique détendent, ouf ! La rencontre d’Irène Théry avec la barjot Virginie Telenne, par exemple, dans une loge de maquillage, deviendra mythique, digne d’une fable genre « la fofolle et la pondérée ». Des interviews placides et autres témoignages spontanés accompagnent le tout en le ouatant de (bon) sens.
La Sociologue et l’Ourson est un film libre et généreux, noblement. Si son propos est engagé, il n’est jamais militant. Il laisse le spectateur réfléchir, piocher, s’arrêter, s’amuser parmi les expériences collectives et intimes du passé, du présent mis en scène. Il favorise sans cesse la possibilité de distanciation, d’où qu’elle vienne. Il est une sorte de voyage dans le temps ; proche ou lointain ? Proposant plutôt sa propre temporalité, comme abolie ou devenue relative.
Entre les XVIII/XIXèmes siècles et mai 2012 (ptit rappel : élection de F. Hollande, son « engagement 31 »), s’impose à nous une évidence simple comme bonjour (et du coup, facile à nier, vague souvenir de la virulence – un euphémisme – des propos ultras et réacs entendus alors) : l’ordre symbolique change et n’a jamais cessé de changer. Tu parles d’un drame civilisateur ! C’est même Napoléon qui le dit lors de la rédaction de son code civil et Madame Thèry nous le rappelle (nous l’apprend pour certains d’entre nous) : « Les lois sont faites pour les mœurs et les mœurs varient ». Si c’est Napoléon qui le dit !
Etienne Chaillou et Mathias Thèry « tiennent » leur film avec maestria, olé ! En l’honorant jusqu’au bout d’une vision précise ; en respectant un certain « pacte documentaire » mais en « l’accouplant » (pour tous !) habilement, à une création fictionnelle si authentique. Le film fini, une sérénité joyeuse perdure. La Sociologue et l’Ourson a évité, avec acuité et mordant, tous les écueils qui auraient pu « plomber » un film sur ce sujet, si loin si proche de nous. C’est vrai que trois ans, dans notre monde globalement fracassé, équivaut bien à un siècle ou à un grain de sable d’évènements…
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