Metteur en scène de théâtre chevronné et anticonformiste, Eugen Jebeleanu signe avec Poppy Field un premier long-métrage engagé et intimiste porté par l’extrême justesse de son récit.
Cristi est un gendarme roumain cachant son homosexualité à ses collègues par crainte de leur intolérance… Un jour, alors qu’il intervient dans un cinéma où un groupe d’ultra-nationalistes sabote une projection, l’un de ses anciens amants, présent parmi les spectateurs, le reconnaît et menace de le dénoncer…
Portrait d’un personnage prisonnier de son secret – assez vite rejoint par d’autres venant lui signifier, parfois malgré eux, qu’il n’est pas aussi seul qu’il semble le croire – Poppy Field doit en premier lieu sa réussite au soin qu’il apporte, dans sa dramaturgie comme dans sa direction d’acteurs, à l’incarnation de ses personnages, ce soin se manifestant d’abord dans le parti-pris d’ouvrir le film sur un premier acte entièrement centré sur Cristi, son compagnon (Hadi) et sa soeur. Si Cristi se montre froid et distant à l’idée que quiconque puisse le découvrir, ces premières scènes s’imposent néanmoins, pour lui comme pour le spectateur, comme un instant de grâce au cours duquel il goûte un bonheur certes fragile et confiné aux quatre murs d’un appartement mais visiblement incomparable, contrastant avec l’attitude austère qu’il adopte face au reste du monde…
Choisissant de structurer la suite de son récit, lancée lorsque Cristi part travailler, autour d’une seule journée de son existence, le film change drastiquement d’ambiance et se focalise alors sur le fil auquel semble tenir la vie de son protagoniste, au moment précis où celui-ci semble prêt à se rompre à cause d’un imprévu tragique (la rencontre d’un « ex » revanchard et provocateur).
Cette phase centrale, source d’une tension extrême, est l’occasion pour Eugen Jebeleanu de décrire dans une atmosphère intime et intimiste – la caméra suit essentiellement Cristi dans des plans très serrés, parfois étouffants, ne s’éloignant que lorsque celui-ci est seul et ne laissant entrer dans le cadre que les personnages essentiels à la narration, là où d’autres se contentent d’exister par leur seule voix – la vie d’un homme rongé par des problèmes nés de son propre esprit (Cristi se révélant être en proie à une paranoïa largement disproportionnée par rapport au regard réel de son entourage) mais également, par le prisme de celle-ci, l’aliénation universelle qu’entraînent les préjugés et la dissimulation ainsi que les travers d’une Roumanie gangrénée par les réactionnaires entravant ses progrès sociaux.
Montrant tout cela avec une exceptionnelle acuité, Poppy Field met ainsi en lumière les fissures d’une humanité constamment au bord du chaos, tiraillée entre une oppression permanente et insidieuse et un désir de vie conduisant ceux qui l’éprouvent à la démence lorsqu’ils se sentent menacés…
Premier film profond et puissant, Poppy Field s’impose comme la fascinante biopsie d’une humanité dont les cellules malades sont la haine et la peur des autres comme de soi-même.
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