Des personnages torturés et ambigus, une parfaite maîtrise de l’art du suspens, les qualités cinétiques de l’univers de Patricia Highsmith n’ont pas manqué de séduire un grand nombre de metteurs en scène prestigieux. Plus d’une dizaine de ses romans à succès ont ainsi été adaptés à l’écran, L’Inconnu du Nord-Express par Alfred Hitchcock, Eaux profondes par Michel Deville, Le cri du Hibou par Claude Chabrol … Si, en préambule, Loving Highsmith se contente de rappeler simplement les grandes lignes de cette Success Story, c’est pour se dédier totalement à la personnalité complexe de l’écrivaine. Passage obligé pour un tel exercice, le retour sur une enfance contrariée n’est abordé que pour éclairer les épisodiques relations avec une mère qui ne s’est pourtant pas privée de venir distiller son venin. Sur les origines de ce trauma affectif ainsi que sur les addictions et maladies qui ont laissé de lourds stigmates, Eva Vitija expose les faits avec la plus grande neutralité, réduisant les différents témoignages à la simple évocation des faits. En évitant de s’appesantir sur le destin de son héroïne, la réalisatrice contourne judicieusement tous les écueils hagiographiques d’un récit documenté. Bien plus encore, progressivement, le cadre conventionnel du documentaire s’estompe pour nous permettre de flirter avec l’intimité de l’écrivaine, dont les incursions en voix-off subjuguent autant qu’elles nous éclairent. Pour ressentir ses fêlures plutôt que de tenter de les comprendre, pour apprécier les vertus de la solitude et de l’éloignement.
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Loving Highsmith est une histoire d’amour contrariée. Celle de Patricia Highsmith pour le sexe féminin. Obligée de cacher son penchant à sa famille, obligée de fréquenter un milieu underground pour rencontrer ses partenaires. Les amours interdits de l’écrivaine sont l’occasion de dénoncer les violences sourdes d’une société américaine prétendument vertueuse. Si le constat est édifiant et ne saurait être remis en cause, le fait de multiplier les exemples tourne par moments à la démonstration sociologique. C’est dans les liens entre la femme et son œuvre que le portrait trouve sa plénitude. Dans le trouble identitaire d’un Tom Ripley (héros d’une série de cinq romans) se niche l’alter égo le plus malicieux d’ Highsmith. Et surtout, les parallèles avec Carol, œuvre miroir d’une société, œuvre à tiroirs d’une féminité fragilisée. Publiée en 1952 sous un pseudonyme, partiellement censurée, cette douce histoire d’amour entre femmes devra attendre la fin des années quatre-vingt pour être reconnue par l’écrivaine. Dans les souvenirs émouvants de Monique Buffet, amante puis amie bien plus jeune que Patricia Highsmith, le couple de Carol révèle ses secrets. Seule œuvre au dénouement positif d’une femme qui n’a jamais manqué d’affirmer publiquement ses aspects les plus sombres.
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L’adaptation cinématographique réalisée par Todd Haynes (2015) sert de fil conducteur pour figurer les tourments qui n’ont jamais cessé d’accompagner le parcours amoureux d’ Highsmith. La pudeur et la minutie des nombreux extraits fusionnés nous dispensent d’explications de texte. Ainsi, le destin chaotique de l’autrice devient le sujet d’un grand mélodrame hollywoodien. À ce titre, les lumineux portraits en noir et blanc, le soin tout particulier aux choix des images d’archives, les décorums chatoyants dans lesquels se livrent les différents témoignages, l’esthétique déployée dans Loving Highsmith rend poreuse la frontière entre la fiction et le documentaire. Loving Highsmith est une œuvre éminemment personnelle, séduite, touchée par la personnalité d’une femme d’exception Eva Vitija suscite le désir de redécouvrir Patricia Highsmith.
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