Julie Moulier © Memento Films

Brute et butée. Dès le départ, Margot oppose à notre regard une sorte de muraille à laquelle elle-même se cogne, se blesse. Aucune séduction, aucun effet. Dans cette belle bâtisse qui sert de centre de désintoxication, les couleurs sont celles du quotidien, le givre qui recouvre la campagne alentour nous transperce de son réalisme. Et dès le départ, nous sommes happés par l’insondable Margot jouée par une Julie Moulier qui crève l’écran en l’irradiant de sa violence rentrée et de son mystère mutique. Est-ce une femme ou un homme ? Que ressent-elle ? Comment en est-elle arrivée à ce stade de destruction, mélangeant alcool, drogues, médicaments ? Nos Vies formidables, prodigieuse expérience de cinéma, va nous tenir en haleine par la plus grande énigme qui soit, celle de la vérité humaine. Comment devient-on ce qu’on est à partir de ce qu’on a fait de nous ? Comment devient-on plus fort que ceux et que ce qui nous détruit ?

© 2018 Le Bureau

Improvisations et imprévus

Le film nous plonge en apnée dans une communauté d’êtres cabossés, nous fait cheminer et remonter le fil d’existences brisées par ce qu’on appelle des enfances aux violences multiples, à la seule force des acteurs, de leur vérité absolue, laissant imaginer l’immense travail qu’a dû s’imposer la petite troupe.

Au départ, une rencontre, celle du frère toxicomane d’une amie, qui devait se suicider quelques semaines plus tard, convainc Fabienne Godet de travailler sur la toxicomanie, elle qui vient de l’univers de la santé mentale.

Ensuite, une méthode de recherche exigeante : deux ans au contact des Alcooliques & Narcotiques Anonymes (A&NA), un séjour dans une communauté thérapeutique, un scénario qui s’écrit et ne cessera de se réécrire jusqu’à la fin avec l’actrice principale Julie Moulier, laissant la part belle à des improvisations et imprévus d’une fabuleuse liberté qui ne sont pas sans rappeler Cassavetes ou le Pialat de A nos amours.

Enfin cinq semaines de tournage autour d’une équipe resserrée, vivant en communauté, et évidemment sans les moyens d’un blockbluster. Une méthode de travail qui finalement reproduit celle de la thérapie anglo-saxonne que montre le film, dite méthode Minnesota : l’addiction doit se considérer comme une maladie chronique qui peut être traitée par la parole et une certaine dynamique de groupe, s’inspirant en cela des douze étapes des Alcooliques et Narcotiques Anonymes, délivrées de leur discours religieux. La dynamique de groupe se transforme en dynamique de soutien, les séances confrontent chacun à ses limites, faisant émerger les lourds refoulements, sans pathos ni apitoiement. Au contraire, une certaine rudesse va ainsi sortir Julie de sa place de victime — qu’elle est pourtant — afin d’affronter sa honte et sa vérité.

© 2018 Le Bureau

L’engagement plan par plan

Plus qu’investis, les acteurs témoignent d’un engagement de chaque instant qui permet au film de multiplier exponentiellement les libertés de la fiction par les forces de témoignage du documentaire et les dramatisations du théâtre. Au final, plus qu’un film choral, un bloc brut de réel passionnant, d’une irréductible exigence et une expérience d’une rare humanité.

© Le Bureau Films

L’empathie comme trait d’union

Trait d’union entre la réalisatrice, son sujet, sa troupe et ses précédents films : l’empathie de la réalisatrice Fabienne Godet envers ces âmes froissées que chantait Ferré. Sauf le respect que je vous dois explorait déjà le mal-être dans le monde du travail, Ne me libérez pas, je m’en charge s’intéressait à l’ex-braqueur Michel Vaujour, Une Place sur la Terre savait mettre en scène les fragilités de Benoît Poelvoorde. Une empathie qui transmet à Nos Vies formidables sa puissante charge d’énergie optimiste malgré ses abîmes de noirceur, paradoxe que restitue parfaitement l’ambivalence du titre. Car, oui, des vies dévastées donnent d’autant plus de prix à la résilience ou à la rédemption, des êtres reconstruits s’ouvrent infiniment mieux au bonheur des chants d’oiseaux.

Julie Moulier et Bruno Lochet © Le Bureau Films 2019

Réalisateur : Fabienne Godet

Acteurs : Bruno Lochet, Camille Cayol, Johan Libéreau, Zoé Héran, Camille Rutherford, Sandor Funtek, Julie Moulier

Nationalité : Français

Distributeur : Memento Films Distribution

Durée : 1h57mn

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Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).

A propos de Danielle Lambert

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