« Il pourrait dormir un peu avant de rentrer, si le coeur lui disait de le faire. Il songea pourtant que si, par hasard, il mourait ainsi, il échapperait à toutes les formalités humaines : personne ne l’irait chercher là où il était […]. Ce qu’on retrouverait au printemps quand les braconniers dénicheurs d’oeufs viendraient ne vaudrait pas la peine d’être mis en terre. »
Un homme obscur. Marguerite Yourcenar
Gabriel Buchmann était un jeune brésilien de 28 ans, étudiant en économie qui allait finaliser sa Thèse sur les politiques économiques dans les pays pauvres à l’Université de UCLA en Californie en septembre 2009. Au terme d’un voyage autour du monde de près d’un an, Gabriel Buchmann est porté disparu en juillet 2009 au Mont Mulanje au Malawi. Il est retrouvé mort d’hypothermie un mois plus tard par des paysans.
Gabriel et la Montagne, de Fellipe Barbosa (Casa Grande), est le récit simple et fidèlement reconstitué des derniers mois de la vie de Gabriel en Afrique à quelques jours de son retour au Brésil. Huit ans plus tard, celui qui a été son camarade de classe est parti avec une équipe de tournage pour filmer et refaire à l’identique le voyage de Gabriel, à partir des photos retrouvées, de son carnet de voyage, des mails reçus et des nombreux témoignages de ceux qui l’ont croisé au Kenya, en Zambie, au Malawi et Zimbabwe.
Découpé en quatre parties, chacune étant une étape du voyage, Gabriel et la Montagne est autant un film mémoire, que le véritable voyage de Gabriel, celui qu’il n’a pas pu raconter à son retour et que le spectateur effectue côte à côte avec un personnage burlesque en apprenti Massai, agaçant en véritable touriste Mzungu (comme on appelle un Blanc au Kenya) qui n’échappe ni à la tentation du safari ni à celle du saut à l’élastique, lui qui n’a pas réussi à intégrer Harvard. Bien sûr, chemin faisant dans l’ascension du Kilimandjaro, le spectateur ne peut s’empêcher dès lors de se sentir dupé par cette jeunesse aisée brésilienne qui côtoie la misère au quotidien et s’en va reluquer celle du voisin, car le touriste qui sommeille en nous et refuse aussi d’en être un ne peut s’empêcher de détester ce touriste qui malgré tout n’en est pas tout à fait un, non plus.
Et pourtant si Gabriel et la montagne fascine, questionne durablement, c’est que les regards croisés de Gabriel Buchmann et de Fellipe Barbosa donnent à entendre un chant d’allégresse, – « subi subi subi com alegria » – une ode à la vie et au voyage, et à voir une image de l’Afrique et du cinéma que Jean Rouch n’aurait pas reniée. Chacun ici entendra et retiendra le chant mystique de celui qui gravit la montagne à la recherche de Dieu ou de lui-même, le dernier chant de Gabriel, tantôt une critique acerbe du tourisme de classe, tantôt un portrait magnifié et magnifique de l’Afrique.
Présenté et récompensé à la Semaine de la Critique, Gabriel et la Montagne de Fellipe Barbosa est une œuvre dense et singulière dont on ressort « heureux » qui comme Ulysse fit un beau et véritable voyage… cinématographique.
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