Sans signe particulier sort sur les écrans le 22 septembre

Sans signe particulier représente la longue marche d’une mère mexicaine qui tente de retrouver son fils, parti pour les États-Unis quelques semaines plus tôt avec un ami qui a été retrouvé mort. De ce fils, elle n’a pas de nouvelles et ne sait s’il est, lui, encore vivant.

Pour son premier long métrage, la réalisatrice Fernanda Valadez, âgée de 40 ans, s’attaque à un phénomène de grande ampleur spécifique à son pays : la disparition de milliers de Mexicains, et notamment d’enfants, faisant suite à des kidnappings. Ces enlèvements qui, entre 2015 et 2020, ont souvent dépassé les 1300 par an, selon les chiffres officiels probablement sous-estimés (1), sont principalement le fait des cartels de la drogue qui volent, rançonnent, embrigadent, assassinent.
En 2014, Fernanda Valadez avait réalisé un court métrage de fin d’études (2) intitulé 400 valises qui est l’ébauche de Sans signe particulier. Nous n’avons réussi à voir que la bande-annonce, mais nous avons pu consulter un dossier pédagogique qui a été monté à son propos et qu’on peut consulter sur internet (3).

 

© Bodega Films

Alors que peu d’acteurs le sont de profession, en ce long métrage, Mercedes Hernández, qui incarne Magdalena, la Mère (Courage), est une interprète chevronnée, présentée également comme une « conteuse » dans certaines fiches biographiques. Elle parvient, sans excès aucun, à exprimer et l’incertitude et la détermination (4), et l’effroi et la compassion. Le parcours de son personnage est une descente aux enfers, tout à la fois lente et brutale, à travers laquelle elle finit par être confrontée au destin tragique de son enfant, toujours vivant. Cette découverte et la compréhension de ce qui s’est déroulé passent par le prisme de subjectivités intradiégétiques, de croyances profondes et un tant soit peu consolatrices ancrées dans l’esprit de certains personnages. Fernanda Valadez transcende le réalisme qui caractérise la plus grande partie de son film pour atteindre au bout du compte une dimension magique, un monde où s’agite le feu et se dessine une silhouette méphistophélique. On peut considérer comme signe de la correspondance étrange entre ces univers un plan se situant vers la fin du film montrant une étendue d’eau entre chien et loup, avec des arbres, des oiseaux. Il y a comme un effet de trompe l’oeil. Difficile de distinguer, de comprendre ce qui est réalité palpable et ce qui est reflet, dans l’eau, de cette réalité.

L’intrigue du film est simple, mais Fernanda Valadez attache un soin particulier à la mise en scène et en images – et en sons. Prenons quelques exemples.
Comme la réalisatrice l’a mentionné dans plusieurs de ses interviews, le pays est gangréné par la violence, mais il est aussi celui où les parents des victimes se serrent les coudes de façon parfois exemplaire. Magdalena rencontre d’autres mères. Ces femmes sont filmées quasiment systématiquement côte à côte.
À une exception notable près, quand il y a des face-à-face entre Magdalena et des personnes qu’elle ne connaît pas, qui ne sont pas concernées directement par les disparitions, qui ne savent pas elles-mêmes exactement à qui elles parlent, qui ne veulent pas qu’on sache qu’elles ont donné des informations à leur interlocutrice, le contrechamp qui pourrait suivre un plan de la protagoniste est comme absent, occulté, impossible (5).
Enfin, évoquons ce filmage constant des personnages principaux – Magdalena ou le migrant nommé Miguel qui va jouer pour elle le rôle de fils symbolique – avec une très faible profondeur de champ. Cet effet optique concentre l’attention du spectateur sur eux et traduit le caractère étranger, difficilement regardable, hautement dangereux du monde qui les environne.

 

© Bodega Films

À travers ses entretiens, Fernanda Valadez a donné quelques titres de films qui ont été des références dans son travail de co-écriture du scénario avec la productrice Astrid Rondero et de réalisation. Elle cite The Ascent (1977), de Larisa Shepitko, et Comme And See (1985), du mari de celle-ci, Elem Klimov. Ces œuvres évoquent la trahison et la collaboration, les tueries de masse, la vision directe de l’horreur… On en trouve des échos dans Sans signe particulier. Fernanda Valadez mentionne aussi Walkabout (1971), de Nicolas Roeg. De ce film situé dans une région désertique, elle a probablement retenu les plans d’insectes – les fourmis -, la scène de la découverte d’une maison vide par la jeune fille occidentale.

Sans signe particulier a obtenu le prix du scénario et le prix du public au Festival de Sundance. Des récompenses méritées pour une réalisatrice sensible, qui fait déjà preuve d’une belle maîtrise de son art, et que nous suivrons de près si elle a l’opportunité de réaliser d’autres films – au Mexique ou ailleurs.

 

© Bodega Films


Notes :

1) Cf. https://www.statista.com/statistics/979091/mexico-number-kidnapping-cases/
Certaines sources récentes estiment à 30.000 le nombre de disparus depuis l’année 2006.
2) Fernanda Valadez est passée par le Centre de Formation Cinématographique de Mexico (Centro de Capacitacion Cinematografica, ou CCC).
3) Cf. https://bdper.plandetudes.ch/uploads/ressources/2554/400_MALETAS.pdf
Dossier réalisé par Claudia Mendoza – Genève, octobre 2015).
4) Il y a un plan visuellement éloquent dans le film… Après une rencontre avec une autre mère de disparue, chirurgienne ophtalmologue de profession – information non anodine dans le contexte d’ensemble du film -, qui l’encourage à ne pas abandonner ses recherches, Magdalena marche dans une rue en s’éloignant d’un panneau de signalisation sur lequel est écrit : « Alto ».
5) Nous avons pu apercevoir dans la bande-annonce du court métrage de 2014, 400 valises, une série de champs-contrechamps entre Magdalena et un officier de police. Certains choix esthétiques ne seront donc affirmés que lors de la réalisation de Sans signe apparent.

 

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A propos de Enrique SEKNADJE

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