Fernando Guzzoni – « Jesús, petit criminel »

Vif et prolifique, le cinéma chilien contemporain se construit constamment entre un présent en quête de repères et un passé meurtri par les années de dictature. Cherchant à exprimer cette dualité, Fernando Guzzoni construit son film autour de la figure du « Huacho » (mot d’origine quechua qui signifie orphelin) en s’intéressant aux liens distendus entre un père et son fils.

Il s’inspire alors d’un fait divers de 2012, l’assassinat d’un jeune homosexuel, le même qui avait servi de base au film Plus jamais seul d’Alex Anwandter, et le place à mi-chemin d’un récit qui, de fait, développe de manière linéaire un « avant » et un « après » : la première partie illustre l’inconscience dans laquelle son jeune héros évolue tandis que la seconde l’oblige à une douloureuse prise de conscience.

Jesús vit avec son père dans un petit appartement du centre de Santiago. Le plus souvent livré à lui-même, la figure paternelle se trouvant doublement absente (au propre comme au figuré), il brûle une jeunesse qu’il imagine éternelle sans se préoccuper d’un quelconque lendemain. Entre sorties, enivrements et relations sexuelles spontanées avec filles et garçons, Jesús s’abandonne sans que les mises en gardes aient de prise sur lui.

Le plus souvent nocturne et s’inscrivant dans une ville aux repères flous, le jeune homme allant et venant seul ou accompagné, d’un parc à une salle de concert jusqu’au refuge de sa chambre, le film adopte le rythme syncopé d’une longue nuit d’ivresse. Magnifiant les peaux, soulignant la beauté animale des corps à la manière d’un Larry Clark, la caméra accompagne l’errance de Jesús jusqu’à la longue séquence centrale qui vient fracturer le récit. L’électrochoc, pourtant, intervient plus tard, après une dernière étreinte, la réalité venant soudain transformer le rêve éveillé en cauchemar.

Doublement sombre, toujours aussi nocturne et faisant enfin ressentir l’hiver chilien de manière tangible, la seconde partie rapproche inéluctablement le père et le fils : abandonné par ses amis, Jesús s’en remet à l’autorité paternelle parce qu’il n’a pas d’autre choix. Le récit se déroule alors sans qu’il n’ait plus de prise sur un destin dont il n’imagine pas l’issue. La perte de repères qu’il recherchait auparavant l’enserre sans la moindre ivresse, le jeune mâle insouciant se transformant en animal blessé se baignant dans des eaux glaciales comme s’il s’auto-flagellait.

En scindant son récit en deux, Fernando Guzzoni garde cependant la main sur une unité formelle à dominante sombre qui transforme les contrastes de la nuit en noir absolu. Jesús, petit criminel repousse sans cesse la venue du jour et enferme ses personnages dans un hors-temps qui illustre la réalité contemporaine d’un pays qui n’en a pas fini avec la douleur des remords, la figure du père représentant finalement pour le cinéaste celle de l’ordre social, indispensable à l’équilibre de toute société.

Aux côtés d’Alejandro Goïc, acteur chevronné ayant tourné avec Pablo Larrain, Nicolás Durán, pour son premier rôle, donne à Jesús la beauté et la vulnérabilité de sa jeunesse. De presque tous les plans, il fait corps avec le récit, l’un et l’autre s’accompagnant dans un même mouvement fracturé. Cette parfaite symbiose permet à Fernando Guzzoni de maîtriser un récit dense qui inscrit les destins individuels dans le portrait lucide du Chili d’aujourd’hui.

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