Le kid de Cincinnati (Norman Jewinson, 1965), Le Flambeur (Karel Reisz,1975), Tricheurs (Barbet Schroeder, 1984), et plus récemment The Card Counter (Paul Schrader, 2021), pour ne citer qu’eux, l’adrénaline des salles de jeux et ses inexorables conséquences constituent un matériau scénaristique intemporel et universel. Dans Le Plongeur, cinquième long-métrage du Québécois Francis Leclerc, si l’addiction s’impose comme l’enjeu du récit, c’est quasi uniquement hors de ses terrains de jeu – bars et clubs où prospèrent les bandits manchots de tous genres – que se nouent le drame. Tout juste arrivé dans le foisonnant Montréal mais déjà noyé de dettes, et absentéiste sans vergogne, Stéphane, un jeune étudiant en arts graphiques, n’a qu’une solution pour sortir la tête de l’eau : accepter un poste de plongeur dans un restaurant. L’incipit, un brillant plan-séquence filmé en plongée nous immerge dans l’univers assourdissant et encrassé du poste le plus avilissant de la brigade de La Trattoria. Soigner le mal par le sale – boulot -, c’est la solution la plus radicale que le cousin de Stéphane lui a trouvée pour lui venir en aide.
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Avec le restaurant pour principal lieu du récit, Francis Leclerc choisit l’angle de la solution plutôt que de s’appesantir sur les causes du problème de Stéphane. Le sujet n’est pas là. Pas plus que la volonté d’assener un quelconque discours moralisateur. À aucun moment, le jeune garçon ne sera blâmé ou excusé, ni par la diégèse – y compris en flashback -ni par ses propres réflexions en voix off. Cette absence de surplomb sera sans nul doute un atout indéniable pour toucher un jeune public, hermétique à de doctes leçons de vie. L’intelligence du scénario consiste à ne pas tomber dans le tempo spectaculaire et convenu de ce type de parcours, en aplanissant les montagnes russes entre les rares phases de succès et les inévitables désillusions. Le récit ne manque pas de rythme pour autant, chères aux émissions télés : la cadence endiablée des cuisines, les inévitables couacs entre les membres de la brigade, et pour agrémenter l’ensemble : la musique souvent retentissante, du Rap, mais aussi du Heavy Métal, Stéphane étant notamment fan du genre. Hormis la séance inaugurale la mise en scène reste un peu anonyme, mais sa fluidité et ses soubresauts réguliers tiennent allégrement la distance.
Pour pimenter le récit, le besoin de liquidité du jeune homme va le conduire vers des individus peu fréquentables pour un trafic à haut risque. Ajouté à la relative édulcoration de l’addiction aux jeux– pas de conséquences physiques sur le personnage – cet épisode donc les impacts sont minimisés manque d’aspérités. Cette absence de sur dramatisation et ce refus de gratter où l’épiderme est plus sensible s’inscrivent dans la volonté de proposer un coming of age susceptible de toucher sans heurter la tranche la plus jeune et la plus concernée du public. Dans la peau de Stéphane, Henry Picard, dont la douceur et le charme rappellent Timothée Chalamet, participe à l’empathie recherchée, mais jamais de façon ostentatoire. Autour de lui, les personnages secondaires sont croqués avec suffisamment de nuances et de travers pour ne pas brosser un portrait idyllique d’une génération. « Tu te feras beaucoup d’amis dans ce boulot, mais tu les perdras très rapidement, aussi », prévient Bébert, le personnage le plus complexe du film. La fin résolument ouverte empêche également tout prêt à penser. Le film se déroule au tout début des années 2000, mais ses problématiques et son angle de vue sont d’une grande contemporanéité.
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