C’est la période des œuvres inadaptables cependant adaptées après Dune de Denis Villeneuve voici Zaï Zaï Zaï Zaï de François Desagnat, héritage filmique du sommet d’absurdité qu’est la bande dessinée de Fabcaro, qui « a le vent en poupe » (pour paraphraser le catalogue du festival) après le succès cette année de l’adaptation de son roman Le Discours par Laurent Tirard. Nous approchions le film en marchant sur des œufs, ceci pour plusieurs raisons : dans un premier temps, nous n’étions pas convaincus que le génie de l’œuvre originale dans le domaine du nonsense allait passer la barre du passage au live action tant les situations, les temps de latence provoqués par la lecture des planches et participant à la force comique et satirique de l’humour de Fabcaro semblaient difficiles à retranscrire à l’écran. Dans un second temps, nous avions un gros doute, certainement stupide, sur le réalisateur tenant le gouvernail du projet ; François Desagnat n’avait jusqu’ici pas spécialement brillé par sa finesse et son sens artistique dans les autres comédies dont il s’est chargé.
Force est de constater que Zaï Zaï Zaï Zaï, sans pousser au chef-d’oeuvre, est une excellente surprise. Adoubé par Fabcaro lui-même (qui fait ici une brève apparition comme dessinateur de portrait robot pour la police), l’adaptation de Desagnat parvient à respecter le monde si particulier de l’auteur de la bande dessinée, faisant du réel lui-même une absurdité globalisée où toutes les situations les plus décalées semblent les plus banales, où il semble par exemple tout à fait normal qu’un poireau brandi vers une personne soit considéré comme une arme létale. Le récit est simple : Fabrice, interprété par un Jean-Paul Rouve qui nage dans le film comme un poisson dans l’eau (l’acteur est finalement issu d’une troupe de comédiens humoristes qui faisaient de l’absurdité, à tort considérée dans leur cas comme une débilité pure, un art de vivre), va faire les courses. Arrivé à la caisse, il se rend compte qu’il a oublié la carte de réduction du magasin. Cet acte criminel fait de Fabrice un fuyard traqué par toutes les polices de France et effrayant une population rivée sur les médias en tous genres pour connaître les évolutions de la situation.
Et le film d’enchaîner les situations absurdes comme des perles comme le faisait la bande dessinée, donnant presque l’illusion de l’inconséquence et de la gratuité. Illusion seulement : derrière les allures anodines de Zaï Zaï Zaï Zaï se dessine un portrait en creux de nos sociétés de consommation finalement assez mordant. L’absurdité du réel déréalisé tel qu’il est dépeint par Fabcaro et Desagnat provient d’une aliénation des masses faisant de l’humain un être programmé pour consommer (c’est le départ même du récit, et l’aliment comme nouvelle arme participe de ce discours), pour acheter les mêmes produits (les Renault Kaptur orange identiques d’un individu à l’autre), pour faire les mêmes choses au même moment (ne pas connaître les paroles de Joe Dassin sur la route des vacances est moralement condamnable), pour privilégier l’humiliation à l’amour et faire de l’amour le seul acte sexuel.
Il y a quelque chose d’éminemment politique dans le film de François Desagnat, description d’un système qui est de l’ordre du totalitarisme de la norme libérale, faisant du personnage rêveur et candide un danger public, un marginal qu’il faudrait traquer jusqu’en Lozère !
Film aussi léger qu’intelligent, d’une drôlerie un rien flippante, Zaï Zaï Zaï Zaï était un projet risqué transformé en une comédie réussie et enlevée, à laquelle il manquerait juste une vraie patte formelle et l’audace de ne pas insister sur le dispositif du plan fixe qui, en reprenant le style artistique de Fabcaro, donne lieu à certaines des scènes les plus hilarantes du film lorsqu’il est utilisé par son réalisateur. La remarque reste de pure forme : le film de François Desagnat reste très recommandable.
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