Que fait-on quand vient l’automne ? Quand on habite un petit village de Bourgogne, on peut cueillir des champignons, activité primordiale dans certaines régions. C’est ce que propose Michelle, une grand-mère bien sous tout rapport, quand elle reçoit à la Toussaint son petit-fils Lucas et sa fille Valérie, qui ne semble pas très heureuse d’être présente. Michelle vit aussi à côté de sa meilleure amie Marei-Claude avec qui elle partage un passé trouble. De retour de leur promenade, Michelle cuisine les quelques champignons comestibles qu’elle pense avoir trouvés. Mais rien ne se passe comme prévu.
Quand vient l’automne est un film bizarre, insaisissable, dont les enjeux demeurent parfois cryptiques, engoncés dans une zone grise, un flou moral difficile à analyser. D’autant que cette histoire, assez conventionnelle en apparence, commence sur des rails, un peu à la manière des œuvres passéistes d’un Jean Becker dans la lignée de Dialogue avec mon jardinier. Tout le début, malgré le talent des comédiens, n’augure rien de bien excitant. On se trouve en terrain connu, celui de la comédie dramatique familiale qui sent la naphtaline, sous-tendue par des secrets de polichinelle. Au lieu d’enchaîner les révélations mécaniques, François Ozon, cinéaste inégal, capable parfois du meilleur (Sous le sable, Grâce à Dieu) mais souvent du pire (les horripilants 8 femmes ou Mon crime sorti l’an dernier), dérive vers une sorte de fable ironique sur les liens entre la vie et la mort, l’idée – quand même difficile à accepter pour certains – que la mort des uns est peut-être une nécessité pour l’accomplissement du bonheur des autres.
Il dresse le portrait touchant mais ambigu, non dénué d’un humour noir velouté à l’image des champignons vénéneux qui ont l’air si gouleyants, d’une vieille dame serviable, d’une gentillesse absolue, mais qui, consciemment ou non, pourrait faire du mal aux autres, animée d’un désir meurtrier pulsionnel ou d’une folie passagère. A plusieurs reprises, se parlant à elle-même, elle doute de ses propres agissements, de la sincérité même de son empathie envers les autres. Quand le drame surgit, elle n’apparaît pas plus affectée que cela, d’autant qu’elle gagne sur tous les tableaux. L’autre personnage en miroir de Michelle demeure le fils de Marie-Claude, sa confidente. Il sort de prison, n’aspire qu’à faire le bien, se ranger définitivement avec un rêve dans la tête : monter un bar-tabac qu’il va réussir à concrétiser grâce au soutien de Michelle. Entre-temps, il commet l’irréparable sans que le spectateur sache le fin mot de l’histoire. Est-il coupable ou non ? Peu importe au fond car le drame qui entoure les protagonistes, se révèle bénéfique pour tous. Ce cynisme insidieux, très éloigné d’un cinéma psychologique et réaliste, rappelle celui, plus surréaliste, de Luis Buñuel, cette appétence pour les situations absurdes révélant, sous le vernis de la respectabilité bourgeoise, la cruauté des individus.
La réussite de Quand vient l’automne tient non seulement au brouillage des genres – s’agit-il d’un thriller, d’une comédie, d’une tragédie ? – mais aussi à sa mise en scène précise qui manie l’art de l’ellipse avec brio. L’académisme de la forme n’est qu’une illusion savamment orchestrée par François Ozon qui parvient à injecter de l’étrangeté à l’intérieur de la banalité des situations. Derrière le vernis fadasse d’une photographie terne et de champs/contre-champs traditionnels à peine digne d’un téléfilm (f)rance 3, il crée du mystère, diffuse une atmosphère équivoque grâce à la seule science du montage, à ces trous narratifs qui laissent au spectateur tout un imaginaire à remplir. La séquence où le fils de Marie-Claude – magnifiquement joué par Pierre Lotin qui en a fait du chemin après Les Tuche – rend visite à Valérie est un modèle de découpage filmique, de tension sourde. La confrontation violente n’aura pas lieu à l’écran, (tout étant pensé en hors-champ). Lorsque Valérie va sur sa terrasse chercher une clope, un frisson nous parcourt ; car derrière le calme de la scène affleure une sensation d’épouvante saisit par un plan fugace où Valérie monte sur une échelle. Quand vient l’automne évoque les débuts caustiques de François Ozon quand il s’attaquait méchamment à la famille dans Sitcom. S’il n’a rien perdu de sa verve, l’expérience aidante, il se garde bien de se laisser aller à la provocation gratuite. Sa farce a beau être féroce et amorale, elle n’en est pas moins émouvante, attachée à ses personnages touchants, à qui Ozon aime donner une deuxième chance. D’autant que le film est remarquablement interprété par la rare Hélène Vincent et aussi Josiane Balasko.
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