Dans les couloirs de l’Assemblée, une femme effleure d’un chiffon une Marianne à la peau de bronze. Pendant que de petits parlementaires vaquent à leurs réunions, elle nettoie un symbole. Ce premier plan a quelque chose d’évident et en même temps d’insaisissable. Deux femmes, l’une de métal, l’autre de chair se rencontrent. Par son regard lointain et sa nature immobile, la première semble ignorer totalement la seconde. Et pourtant, les hommes s’enorgueillissent d’avoir façonné la République à son image. Liberté, Égalité et… Fraternité. Point de sororité préconisée dans cet idéal personnifié au féminin. Cette confrontation du vivant et du stoïque qui ouvre le film cristallise en une image l’enjeu du film. Le problème et sa possible résolution sont sous nos yeux, la République ignore la femme qui l’entretien, et si enfin elle lui daignait un regard ?

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Malgré le pouvoir illustratif de ce plan, il se montre cruel avec son sujet, puisqu’il rend la femme de chair aussi muette que celle de métal. Image silencieuse. Le premier mot prononcé ne tarde pas à arriver, il provient d’une bouche masculine. François Ruffin préfère introduire lui même verbalement le sujet de son film. Dans son petit bureau de député, il nous expose sa mission parlementaire : Revaloriser les métiers du lien, exercés à 90% par des femmes. Pour l’accompagner dans cette honorable quête, un allié improbable. Bruno Bonnell, député LREM, serait le parfait antagoniste si son histoire familiale ne l’avait pas mis en relation privilégiée avec une de ces femmes du lien. Comme un capitaliste repenti, il a délaissé sa férocité de chef d’entreprise au profit d’un peu plus de considérations humaines. Soit.

Si Debout les femmes!, qui se définit lui même comme un road-movie parlementaire, a profondément à cœur de servir leur cause, il relègue parfois les femmes à un arrière plan, un paysage que l’on découvre au fur et à mesure à travers le point de vue des deux réalisateurs. Reprenant la logique de leur précédent film J’veux du soleil, Ruffin s’approprie son sujet en s’intégrant dans le cadre. Le hors-champ, qui a pour habitude de dissimuler les cinéastes documentaristes ne peut retenir le député LFI bien longtemps. Cette implication physique ne l’avantage pas forcément. Elle lui donne une aura de petit sauveur du peuple, ce qui est plutôt gênant à regarder.

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Alors que dans un premier temps elles formaient un groupe un peu flou dans le décor d’une aventure politique, les femmes conquièrent progressivement le champ de la caméra. Delphine, Sabrina, Assia, Hayat, Sandy et bien d’autres se laissent filmer dans leur quotidien. Elles sont aides à domiciles, AESH ou agents d’entretien, toutes indispensables contrairement à ce que leur rémunérations pourraient indiquer. Ces métiers du lien sont majoritairement des temps partiels précaires. Tâches difficiles, absence de formation, déplacements incessants non décomptés du temps de travail, et à la fin du mois un salaire qui sonne comme une insulte. Tandis qu’elles sont « un rayon de soleil » pour les personnes qu’elles accompagnent et soignent, le gouvernement laisse le secteur privé les traiter comme des variables économiques ajustables à souhait. Le projet de loi proposé par Ruffin et Bonnell, qui visait à améliorer leur moyens et leur rémunération, entend toutes ses propositions refusées une par une. Rejetées, rejetées, rejetées. Dans l’hypocrisie générale, le seul avis favorable sera pour l’ajout du mot dignité aux côté de celui d’attractivité pour définir les conditions d’emploi. Tant que cela reste théorique, ça ne risque rien.

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Devant cette défaite cuisante (malgré quelques petites améliorations mentionnées au générique de fin), Ruffin et Bonnell s’effacent enfin pour laisser entièrement place aux principales intéressées. L’Assemblée Nationale vidée de ses députés impuissants accueille ces femmes pour ce qui sera l’apothéose du film. À défaut d’être écoutées dans la réalité, le film leur donne la parole dans une assemblée imaginaire où elles échangent toutes ensemble. Même si l’on sent amèrement l’astuce de mise en scène, l’enthousiasme qui s’en dégage est trop important pour être ignoré. L’artificialité ne vient pas à bout de la sororité qui naît dans le siège de la République. Elles se confient, elles s’écoutent et s’encouragent, elles ont les larmes aux yeux et tout cela est plus parlant et plus touchant que tout ce qui a précédé.

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