Après deux bons polars, aux allures de séries B efficaces et sans fioritures, Pour elle et A bout portant, Fred Cavayé a payé sans doute cher l’échec de son raté Mea culpa, thriller qui réunissait les deux acteurs principaux de ses films précédents, Gilles Lellouche et Vincent Lindon. A l’instar d’un Éric Valette, David Moreau ou encore Florien Emilio Siri, il s’est plié à la dure loi des commandes, ce qui en soi n’a rien d’honteux sauf qu’en France, il s’agit le plus souvent d’accepter d’emballer des comédies au rabais. Il signe les pathétiques et rances Radin et Le Jeu, indignes de son savoir-faire et même de sa petite personnalité, soit une réelle sensibilité appliquée à un genre viriliste. Le retrouver aujourd’hui derrière un projet plus ambitieux rassure.
Le sujet de Adieu Monsieur Haffmann s’avère même particulièrement retors, éloigné de la drama-télé redouté dès lors qu’il s’agit de filmer l’occupation allemande pendant la deuxième guerre mondiale. L’action se déroule à Paris en 1941. François Mercier est un homme ordinaire qui aspire à une vie normale et prospère, fonder une famille avec la femme qu’il aime et réussir sur le plan professionnel. Il est employé dans une boutique tenue par un joailler talentueux, Monsieur Haffmann. Les conséquences de la guerre, la présence des nazis et la déportation des juifs, amènent Haffmann à conclure un accord avec François Mercier. Il lui cède jusqu’à la fin de la guerre sa bijouterie et son appartement familial. Si sa femme et ses enfants ont pu fuir en zone libre, le commerçant se retrouve prisonnier chez lui, vivant désormais dans la cave en attendant de trouver une solution. Mais rien ne se passe comme prévu, les rapports entre les trois personnages, Haffmann je juif, son ex-employé et la femme de ce dernier, vont prendre une tournure de plus en plus tordue, les rapports de classe s’inversant, le dominé devenant le dominant. De plus un chantage pernicieux se rajoute à cette inversion.
Une histoire pareille, sous-tendue par une perversité et une violence psychologique très vicieuse n’aurait pas déplu à un Claude Chabrol ou un Joseph Losey. D’ailleurs, on songe parfois à Mr Klein et The Servant en mode mineur. Mais la comparaison s’arrête là. Fred Cavayé illustre sommairement cette histoire passionnante mais au moins il le fait avec habileté, retrouvant même la sécheresse de ses débuts. Ni gras ni scènes inutiles n’encombrent un récit prenant qui s’en tient à un espace géographique très exsangue. Rares sont les moments où l’on quitte la boutique et l’appartement. Les extérieurs sont réduits au strict minimum, soit des plans des façades de magasins avec l’étoile jaune placardée et de brèves séquences attentives à la progression narrative. Normal dans un sens puisqu’il s’agit de l’adaptation de la pièce de théâtre éponyme de Jean-Philippe Daguerre. En évitant le piège d’aérer artificiellement le matériau d’origine, Fred Cavayé a accompli un travail remarquable de mise en scène ; il parvient à créer un climat très étouffant, en filmant au plus près les personnages, ne s’autorisant que très peu de plans larges. Les cadres très serrés et la photographie blafarde avec des teintes à dominantes gris et marrons, instaurent une véritable tension servant efficacement une reconstitution historique crédible et peu démonstrative.
En revanche, le film échoue à tisser une véritable complexité par rapport à ce qui se joue entre les personnages. Ces derniers sont d’ailleurs dessinés à gros traits, à commencer par Frédéric Mercier qui est non seulement handicapé mais aussi stérile, ce qui fait beaucoup pour un seul homme. Sa frustration, si elle est cohérente, est bien trop lisible dès sa première apparition, ne servant qu’une progression dramatique trop bien huilée jusque dans ses rebondissements attendus. Gilles Lellouche a tendance à surjouer ce modeste individu qui va s’enfoncer dans la crapulerie. Face à lui, Sara Giraudeau, pourtant épatante dans Petit Paysan, parait mal à l’aise, extérieure au récit. Elle est peu aidée il est vrai par un personnage apathique, manquant singulièrement d’ambiguïté. Dans le rôle de Monsieur Haffmann, en revanche, Daniel Auteuil est remarquable de sobriété. Il n’avait pas été aussi juste depuis longtemps, ne cherchant nullement à dérouler un numéro bien rôdé. Son jeu en sous-régime ne fait qu’accentuer son imposante présence physique à l’écran.
En dépit d’un traitement parfois superficiel, d’une intensité qui fluctue selon les séquences, Adieu monsieur Haffmann est plutôt une bonne surprise, un drame historique douloureux doublé d’un thriller fascinant aux réminiscences politiques et sociales qui dans ses meilleurs moments flirtent avec le cinéma de Roman Polanski. Ce qui n’est pas un mince compliment.
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